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Dr Boris Houenou : «  Une réforme sans écoute est une demi-réforme »

 Dr Boris Houenou : «  Une réforme sans écoute est une demi-réforme »

Il a une fois de plus essayé d’apporter de la lumière sur des sujets qui constituent des leviers pour les pays africains pour avoir une véritable indépendance monétaire. Dans  cet entretien, Docteur Boris Houenou, Economiste de renom et conseiller de nombreux gouvernements sur les questions de développement, de croissance économique et d’inclusion digitale, a abordé plusieurs sujets dont la question de l’ECO qui est la nouvelle monnaie en vue, l’accord révisé entre l’UEMOA à travers la BCEAO et le trésor français. Il martèle qu’il urge désormais que les dirigeants africains associent les peuples à ce combat. Lisez plutôt !!!

 C’est un économiste de renom. Béninois de la diaspora, il a eu le privilège d’enseigner l’économie dans son pays d’adoption, les USA. Depuis lors, il conseille de nombreux gouvernements sur les questions de développement, de croissance économique et d’inclusion digitale. Observateur des dynamiques politiques, sociétales et économiques sur le continent africain, il s’est prêté volontiers à nos questions et livre son opinion sur l’actualité brûlante dans le Sahel sous le prisme de sa science.

Comment appréciez-vous l’évolution des débats sur la nouvelle monnaie ÉCO ?

Je tiens à clarifier que même si les chefs d’États des États membres de l’Union Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA)  ont souhaité le changement de nom de la monnaie de CFA à ECO, en résonance au projet de monnaie unique de la CEDEAO, le terme ECO n’est mentionné nulle part, sauf dans le préambule de l’accord révisé de coopération entre la France et les États membres de UEMOA. Par ailleurs, il n’y a aucune indication de quand les coupures de billets “ECO” seraient en circulation; car les changements de monnaie fiduciaire sont des processus qui s’avèrent longs et couteux. Par conséquent, il semble donc que les pays de l’UEMOA cherchent à préserver le souvenir du grand projet de la CEDEAO, à savoir la monnaie unique appelée ECO.

Parlez-nous alors des principes fondamentaux pour bien comprendre la situation ?

Il s’agit d’abord de savoir : pourquoi avons-nous besoin d’une monnaie dans une économie ? En termes pratiques, c’est parce que nous voulons échanger ce que nous produisons les uns avec les autres. Cela suppose qu’une monnaie soit nécessaire lorsque des échanges économiques ont lieu, pour reprendre les termes de Carl Menger. Si nous transposons ce raisonnement à l’échelle des États, la monnaie facilite les échanges entre eux. Il est essentiel de comprendre ces fondamentaux pour appréhender les modifications apportées à l’accord de coopération monétaire, dont les piliers, en soi, n’ont pas changé. Notamment, la France continue de jouer le rôle de garant financier du CFA en permettant sa convertibilité illimitée en devise et en maintenant la parité fixe avec l’euro. Ce rôle de garant financier implique certaines précautions pour couvrir les risques. La convertibilité illimitée permet aux États de l’UEMOA d’obtenir la devise nécessaire pour couvrir leurs importations. Notez que le rôle de garant financier est une caution que la France porte à la monnaie de l’UMEOA et par conséquent, ce qui requiert un certain nombre de garde-fous qui globalement ont été, dans le temps, stipulés, dilués ou ajustés, mais ne pourraient disparaître que si tout l’accord est dissout.

Ce qui dénote que la France continuera de jouer le rôle de garant financier ?

Le rôle de garant financier est un risque que prend le trésor français, et pour cela, il a légitimement besoin de contrepartie pour se couvrir et surveiller le risque. En effet, la convertibilité illimitée permet que la BCEAO puisse tirer autant de devises que nécessaire pour couvrir les importations. Car pour importer du riz indien et des voitures allemandes, vous avez besoin de la monnaie de ces pays ou simplement du dollar américain dans la majorité des cas. En garantissant cette convertibilité illimitée, le trésor français permet que la quantité de CFA nécessaire pour faire ces importations soit changée en euros et certainement après en dollar américain pour commercer. La quantité qu’on peut changer est illimitée, supposant qu’autant que nous aurions besoin des euros pour commercer, le trésor français fournira. Il me semble que cet élément fondamental est la source originelle de toutes les autres dispositions. Quoique pas nécessaire, il me semble que pour se couvrir du risque du marché de change, maintenir la parité fixe est une couverture du risque qui a tout son sens. Si l’on maintient une flexibilité entre le CFA et l’euro, les pays de l’UEMOA transfèreraient de facto la volatilité et le risque qu’il comporte à la partie française. Ainsi donc, la parité fixe est une mesure principale de gestion de risque de change.

Dites-nous quels sont les fondamentaux qui demeurent dans l’accord révisé ?

Le piller de la convertibilité illimitée et son corollaire de gestion de risque qu’est la parité sont les deux fondamentaux qui demeurent dans l’accord révisé. Les autres mesures confortatives, ont été aménagées. Il s’agit notamment de la centralisation des réserves de change de la BCEAO selon les conditions prévues dans la convention de compte d’opérations, qui a été supprimée. Et bien entendu dans l’article, qui stipulait que deux administrateurs sont désignés par la France pour participer au conseil d’administration de la BCEAO. Désormais, selon les dispositions de l’article 4, le comité de politique monétaire de la BCEAO comprend une personnalité indépendante et qualifiée nommée par le Conseil des ministres de l’UEMOA en concertation avec la France. Mieux, selon l’article 8, la France pourra désigner à titre exceptionnel un représentant avec voix délibérative en cas de risque d’appel en garantie.  Comme on le voit, il est important pour le trésor français qui prend un risque, en tant que garant financier, de s’offrir les moyens de surveillance, de gestion de risque et de crise dans cet accord. Cela me paraît légitime. La BCEAO a donc conservé un lien de rapportage, une fois encore légitime, vis-à-vis du trésor français, comme le stipulent les articles 5 et 6. Selon l’article 5, la BCEAO devra transmettre régulièrement des informations techniques permettant à la France de suivre l’évolution du risque qu’elle couvre. Les parties à l’accord pourront par ailleurs se rencontrer, au niveau technique, en tant que de besoin, et l’article 6 enchaine que l’un des signataires peut demander une réunion à un niveau politique, lorsque les conditions le justifient notamment pour prévenir ou gérer une crise.

Qu’est-ce qui change alors concrètement ? 

Pour résumer, la BCEAO ne centralisera plus ses devises de change auprès du trésor français, la France ne nommera plus directement de représentants avec voix délibérative dans les instances de la BCEAO sauf en cas de risque d’appel en garantie, quoique gardant une surveillance pour suivre le risque qu’elle couvre, mais les fondamentaux de la garantie de convertibilité illimitée et de parité fixe d’un euro pour 655,957 francs CFA demeurent.

Comme prérogative constitutionnelle, l’Assemblée Nationale du Bénin ratifie donc cet accord révisé. Néanmoins, les dispositions de l’accord permettent une exécution de certains éléments et une rétroactivité après ratification. Par exemple, l’accord selon l’article 10 entre en vigueur le 1ᵉʳ janvier 2021, date d’activation de la garantie qui est elle-même signée le 10 décembre 2020. Par ailleurs, le 16 octobre 2020, un avenant à la convention de compte d’opérations a été signé, ce qui met fin en principe à la centralisation des réserves d’échange de la BCEAO auprès du trésor français.

Prenez-vous vraiment l’ECO comme ”nouvelle monnaie ” à venir ?

Cela dépend de laquelle des ECO dont nous parlons. La transformation du CFA en ECO n’est stipulée dans l’accord révisé que dans le préambule. Ainsi, je ne saurai affirmer quand nous verrions des billets estampillés “ECO” en circulation dans l’UEMOA. La décision d’adopter ou de changer un nom a certes été entérinée par chefs d’État de la région, mais sa mise en œuvre prendra des années. En revanche, si vous parlez de l’ECO de la CEDEAO, je pense que c’est possible, mais je ne peux pas prédire à quel horizon.

Qu’est ce qui empêche la réalisation de ce projet ?

De l’avis de nombreux observateurs, le projet de l’ECO de la CEDEAO rencontre des obstacles en raison de la réticence du Nigeria, des asymétries des chocs économiques et de leurs mécanismes d’absorption dans les pays de la CEDEAO. Ainsi, la quête de la convergence macroéconomique comme condition sine qua non à l’avènement de la monnaie devient un défi de taille. J’ai personnellement travaillé sur cette question, analysant les rapports successifs sur la convergence macroéconomique et modélisant leur similarité dans le temps. Je suis parvenu à la conclusion que la recherche de la convergence macroéconomique comme préalable non négociable pour un projet à la fois économique, politique et social, tel que la création d’une monnaie commune, est une simplification excessive qui entrave la réalisation du projet. Cependant, je reste optimiste quant à une accélération de l’intégration commerciale entre les pays africains. Par exemple, si la Zone Libre Échange Continentale Africaine (ZLECA) réussissait, cela pourrait fournir peu de raisons au leadership pour tergiverser. Parfois, les facteurs qui accélèrent un événement ne se trouvent pas dans les plans.

L’accord actuel ratifié par le Bénin parle principalement de : l’arrêt de la centralisation des réserves de changes au Trésor français ; le transfert de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest des ressources disponibles dans le compte d’opération et de fermeture dudit; et, le retrait de tous les représentants français des organes de décision et de gestion de l’UMOA… Peut-on affirmer que ce sont des avancées significatives pour la zone ?

Sur la question des symboles, je pense que l’accord révisé apporte une forme de réponse. Cependant, la question est de savoir si ce que les jeunes de la zone UEMOA demandent à leurs dirigeants relève du simple symbole ou s’ils attendent un engagement politique plus fort, voire une refonte complète. Je n’ai pas la réponse à cette question. Dans une forme plus avancée de ces réformes, j’aurais aimé voir davantage d’écoute. Une réforme sans écoute est une demi-réforme. Il m’a semblé que la partie française a organisé une évaluation de cet accord, a commissionné un groupe d’experts pour un rapport éclairant pour le législateur, puis a organisé un débat pour discuter des intérêts français dans cet accord révisé. Si la France le fait avec autant de civilité démocratique et de concertation, combien est-il plus important pour les pays où les peuples détiennent et utilisent cette monnaie d’organiser un débat plus large, structuré, mais ouvert à l’écoute, afin d’amorcer une lecture plus approfondie de la volonté et des critiques émanant des non-engagés, des défenseurs, des experts et des non-experts sur cette question.

Nous devons faire l’effort d’évaluer ex-ante toute réforme avant de les implémenter, surtout dans un contexte de ressources limitées où nous sommes appelés à ne pas apporter des ajustements qui pourraient ne pas répondre pleinement à la volonté du peuple. Cependant, un ajustement, une sorte de verre à moitié rempli, peut indiquer le chemin dans la bonne direction. En général, le peuple, dans toute négociation, notamment avec des acteurs extérieurs, devrait être perçu comme le bouclier du leadership. Nous oublions souvent cela. Comme je l’ai précisé plus haut, il n’est pas si difficile de comprendre ce qu’est une monnaie et, qui, à cause de sa dimension sociale, politique et économique, requiert que les peuples autant que possible aient une place autour de la table.

Quels seront les changements probables à l’avantage des peuples ?

Comme je l’ai mentionné précédemment, les fondamentaux de la monnaie restent inchangés. Ainsi, les performances de la zone en ce qui concerne le mandat de la BCEAO devraient perdurer. Cela inclut notamment la maîtrise de l’inflation, un paramètre dans lequel le CFA se comporte plutôt bien en comparaison avec le reste de la sous-région. De plus, la stabilité du cadre économique est assurée notamment grâce à la stabilité de la devise, l’euro, avec laquelle la parité fixe est maintenue. Ainsi, dans un contexte inflationniste, comme celui observé par exemple au Ghana ou même au Nigeria, le CFA se positionne comme un refuge, ce qui constitue certainement un atout.

Les inconvénients sont bien connus et largement débattus. Je ne vais pas y revenir ici. Étant donné que la monnaie revêt également un aspect identitaire et de souveraineté, je vous renvoie aux débats passionnés et critiques à ce sujet. Vous n’aurez pas besoin de beaucoup de temps pour les entendre.

Que dites-vous globalement de l’avenir de cette monnaie ?

Il a fallu attendre 46 ans pour voir une révision de l’accord de 1973. Je ne sais pas quand aura lieu la prochaine révision, mais elle n’est pas improbable. L’avenir de la monnaie dépend des dynamiques internes de l’UMOA, mais aussi au sein de la CEDEAO, sans oublier la France. Cependant, c’est surtout une décision politique, donc difficile à prédire. Personne n’aurait par exemple imaginé que les critiques de l’accord de 1973 pourraient déclencher une série d’événements qui ont conduit à l’accord révisé du 21 décembre 2019. Néanmoins, j’ose émettre une prédiction : l’accord révisé ne durera pas aussi longtemps avant d’être cédé ou révisé, si les critiques ne sont pas apaisées.

Un mot pour conclure

Je conclurai par un vœu : celui de voir un jour une monnaie qui reflète véritablement la volonté des populations, dans le cadre d’une réforme attentive et à l’écoute de leurs besoins et de leurs aspirations.

Réalisation : Damien TOLOMISSI

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