Elvis Abou, sociologue, sur la cybercriminalité : «Le phénomène touche l’ensemble de la société»

Le Procureur spectacle de la Cour de Répression des Infractions Economiques et du Terrorisme (CRIET) et le Directeur de l’Office Central de Répression de la Cybercriminalité (OCRC) sont montés au créneau pour faire un point sur la traque lancée  contre les cybercriminels au Bénin. Il ressort de leurs interventions que plus d’un millier de jeunes sont interpellés et déposés en prison. Pis, en dehors des déscolarisés, des mineurs et même des instituteurs sont épinglés lors des opérations de ratissage. Interrogé sur le sujet, Elvis Abou, sociologue, chercheur et spécialiste des questions de mobilité professionnelle et d’emploi estime que le mal est plus profond. Lisez plutôt !!!

Que pensez-vous de cette opération coup de filet lancée par les autorités béninoises et surtout de l’ampleur des chiffres évoqués?

Aujourd’hui, tous les corps de la société sont touchés. On parle de plus de 1000 cybercriminels mis aux arrêts. Plus de 2000 plaintes enregistrées avec près de 3 milliards de nos francs de préjudices causés par les cybercriminels. C’est ahurissant. Cela veut dire qu’aujourd’hui si vous n’êtes pas victime directement de ce phénomène là, vous connaissez au moins une personne qui en est victime. On peut conclure que le phénomène touche toute la société dans son ensemble et nous ne pouvons plus nous cacher derrière notre petit doigt.

Qu’est-ce qui peut expliquer ce phénomène ?

Il se pose un problème de valeur.

Pouvez-vous mieux expliquer ?

Oui! La valeur que nous devons promouvoir normalement, c’est le travail. Le travail bien fait. Mais aujourd’hui, c’est l’argent qui est célébré. Plus précis, lorsque nous parlons uniquement de l’argent ou nous promouvons, le message que nous transmettons à la jeune génération c’est qu’il faut tout faire pour avoir de l’argent. Or, l’argent n’est pas la valeur ultime. Nous travaillons pour satisfaire nos besoins, certes mais nous travaillons d’abord pour répondre aux besoins de la société, nous travaillons pour apporter une réponse à notre environnement et c’est par ce travail que nous arrivons à satisfaire nos propres besoins. Et donc l’accent doit pourvoir être mis sur le travail. Lorsque nous déplaçons les bornes et qu’au lieu de mettre l’accent sur le travail nous priorisons d’évoquer l’argent qui devait découler d’une tâche bien accomplie, il est de toute évidence que nous avons transmis le message inapproprié.

Donc vous voulez dire que le ver est dans le fruit?

Il est dit souvent dans la société que l’argent n’a pas d’odeur. C’est faux. Parce qu’en réalité l’argent mal acquis finira forcément par sentir sur vous. Quels sont les modèles que nous proposons aujourd’hui? Quels sont les figures de réussite que nous proposions et célébrions, que nous affichions dans la société à travers la presse et les réseaux sociaux? Ces figures de réussite là comment nous les présentions? Quel message est livré au travers de ces figures de réussite lorsque par exemple nous exhibons des billets de banque. Lorsqu’ils affichent leurs grandes réalisations, avec de belles maisons, de belles voitures, des jets privés sans forcément montrer qu’ils se sont donnés véritablement au travail pour atteindre leurs objectifs, cela dénote que le monde est en train de perdre son sens. L’accent doit être mis sur le travail, le travail vertueux et l’intégrité et non la truanderie et la facilité.

Propos Recueillis par : Arnaud ACAKPO (Coll)