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Transhumance, corruption et changements climatiques : Un cocktail Molotov

Depuis plusieurs années au Bénin, la transhumance réunit tous les signes d’un conflit mille et une fois reporté. Il n’y a pas de saison qu’elle n’eut pas eu ses morts et ça risque de ne pas s’arrêter, si la méthode de la gestion de cette activité ne change pas. De la Révolution à la Rupture, la transhumance apparaît comme un phénomène sur lequel tous les gouvernements au Bénin se sont fracassés.

De quoi s’agit-il en fait ? Selon Louis Gnaho, Docteur Vétérinaire à la retraite, « la transhumance est un mouvement cyclique et pendulaire des éleveurs, en raison des difficultés dans leur localité d’origine, de faire face aux nécessités d’affouragement, c’est-à-dire,  de pâturage et d’abreuvement du bétail ». Pour Marcel Houinato, Enseignant-Chercheur à l’Université d’Abomey-Calavi, « c’est un système d’élevage comme tout autre. L’éleveur quitte sa région avec son troupeau où les ressources font défaut, pour aller vers d’autres localités où ces ressources sont disponibles, tout en ayant le regard derrière et retourne dès que les ressources sont reconstituées sur son territoire ». La transhumance devrait alors se dérouler sans accroc. Elle ne  devient un problème que lorsqu’elle est mal gérée. Le problème, indique l’Enseignant-Chercheur, c’est beaucoup plus lié à la traversée des zones qui n’étaient pas habituées à recevoir un grand nombre de bétail et en plus, la fréquentation de ces localités par les animaux à un moment où les activités agricoles sont encore en cours.

Agonli : la zone de prédilection de la transhumance

Covè, Zagnannado, Ouinhi et Zogbodomè sont des communes du département du Zou, au Bénin, très proches de la vallée de l’Ouémé. C’est là que les plaines inondables offrent beaucoup plus de possibilité d’alimentation au bétail. C’est d’ailleurs pour ça, qu’à chaque saison, la zone est envahie par une horde de troupeaux : dix, voire cinquante mille têtes de bœuf, en quête de la vaine pâture et de l’eau. Ils viennent le plus souvent du Burkina Faso, du Niger, du Mali et du Nigéria. Pour James Bojrènou, cette période qui va de la  mi-décembre à fin mars, est un traumatisme pour les populations de l’arrondissement de Tohouè, dans la commune de Ouinhi. L’intéressé se souvient de ce qui s’y est passé le 31 janvier 2013. Sous prétexte de punir les habitants de cette localité, pour les avoir chassés, les Peulhs ont brûlé tout sur leur passage, au niveau du village de Tohouè. Des fois, vous avez plus de bœufs que d’habitants. Quand ils passent, souligne Florent Hessou, ils réduisent tout en poussière. Or, il y a une loi qui organise cette activité. Il s’agit de la loi n°87-013 du 21 septembre 1987 portant règlementation de la vaine pâture, de la garde des animaux domestiques et de la transhumance. Elle prévoit pour tout troupeau étranger, les postes d’entrée, les itinéraires et les zones d’accueil ou de transhumance. Elle détermine les périodes de transhumance. Le retour des éleveurs et des troupeaux transhumants dans leur pays d’origine est obligatoire.

La transhumance : un nid de corruption

Malgré la loi et toutes les dispositions prises, rien ne se passe comme l’ont prévu la loi et les textes. Morceaux choisis, « les Peulhs sont conscients des dégâts qu’ils causent. Quand ils viennent, ils corrompent toutes les autorités. En 2009, quand j’étais devenu le Maire d’une des quatre communes concernées par la transhumance, les Peulhs sont allés me voir. Ils m’ont apporté quatre (4) millions. Ils m’ont dit que c’est mon cadeau. En plus, ils me proposent deux bœufs pour le Nouvel An. J’étais scandalisé. Et comme je n’ai pas pris, ils sont revenus avec deux millions en plus, pensant que j’ai refusé parce que je jugeais la première offre insuffisante. Voilà comment ils fonctionnent. J’ai compris le système. Donc, ils corrompent tout le monde et quand ils commettent des forfaits,  ils sont absous ».

La première autorité du département, à l’époque de notre enquête, reconnaît les cas de corruption dans les rangs des forces de l’ordre, qu’il a d’ailleurs sanctionnés, nous a-t-il dit. Mais, lorsqu’il s’est agi de nous trouver un Peulh pour faire confirmer tout ce que nous avons entendu, l’autorité s’est pris les pieds dans le tapis. « Tu connais le Peulh qui garde mes bœufs, disait-il à son garde de corps, dis-lui de venir ». Cela confirme ce que nous avait dit le Maire. «Toutes les autorités du département du Zou sont des éleveurs ». Un autre Maire, reconnaît que la transhumance est « une cohabitation obligée malgré que cela soit un danger pour nous ».

A qui la faute ?

Aux intermédiaires d’abord. Il s’agit du premier contact du Peulh avant son entrée dans une région. Ce sont ces derniers qui arrangent la situation du Peulh et ses troupeaux auprès des élus locaux, des chefs de terre et de toute autre personne influente de la région. En payant ces différents services, le Peulh se dit qu’il acquiert ainsi pour ses troupeaux le droit de tout brouter. Donc, le plus souvent, il s’étonne de la réaction des agriculteurs et de toute autre personne supposée victime des gaffes de ses bêtes. C’est l’origine des conflits et les dégâts sont énormes, d’un côté comme de l’autre. Dans cette région ouest-africaine où les changements du climat vont conduire de plus en plus à l’assèchement de certains cours d’eau, rivières, lacs et fleuves, qu’adviendra-t-il ? Cela voudrait dire, des départs précoces pour les éleveurs et leurs troupeaux des régions du Sahel et un retour tardif,  voire une installation définitive dans les régions plus humides. Cela voudrait dire aussi que les populations des régions traversées, confrontées à la précarité, ne voudront plus des Peulhs dans leur contrée. La confrontation sera inévitable. Et comme le dit un responsable des structures du ministère de l’Agriculture, le gouvernement béninois a beaucoup à gagner en organisant cette filière. Il propose la mise en place d’un projet dont le rôle est de produire les fourrages et d’installer des points d’eau dans des zones bien déterminées, de façon à sédentariser le Peulh et ses  troupeaux, contre une rémunération. C’est à ce seul prix que la transhumance cessera de laisser derrière elle des cadavres à chaque passage. C’est ce que je crois.

Enquête réalisée par  Didier Hubert MADAFIME (Vauditou)

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