(Le discours émouvant du président Macky Sall)
Le sommet RENEWPAC 2023, une initiative du groupe Renew Europe au Parlement européen, promet d’être un catalyseur essentiel pour favoriser le développement durable entre l’Europe et l’Afrique. Après le succès du Sommet 2022 à Marrakech, cet événement a débuté le 3 décembre à Dakar, au Sénégal, et prendra fin ce 5 décembre 2023. Les participants à ce colloque ont eu droit à un discours émouvant du chef de l’État sénégalais.
Le thème de cette année porte sur ” Europe et Afrique, comment favoriser le développement durable”. Occasion saisie par Macky Sall, chef de l’État sénégalais de parler des relations qui lient les deux continents, ainsi que les nombreux intérêts que l’Afrique et l’Europe ont en commun dans un monde ” très mouvementé”.
Voici le discours du président Macky Sall
Je suis heureux de vous accueillir à Dakar et de venir personnellement présider la
cérémonie d’ouverture de notre rencontre ; un rendez-vous, après celui de Marrakech l’année dernière, que nous souhaitons annuel. Merci à toutes et à tous
d’être venus. Je vous souhaite la bienvenue et un agréable séjour au Sénégal.
En plus des valeurs de liberté et de démocratie que nous partageons, nous avons bien d’autres raisons de nous réunir et nous concerter dans un monde malmené par la guerre et la violence ; un monde agité par une crise économique profonde et des turbulences géopolitiques tous azimuts ; un monde où nos valeurs communes sont fortement secouées, voire remises en cause. Comment, sur cette toile de fond brûlante, favoriser le développement durable entre l’Europe et l’Afrique, comme le suggère le thème de notre rencontre ? Entre l’Europe et l’Afrique, il y a une longue histoire, avec ses pesanteurs, et une proximité géographique
étroite ; puisque seulement 15 kilomètres nous séparent. Entre l’Europe et l’Afrique, il
y a le coût immense de la guerre, payé ensemble, deux fois en l’espace d’une
génération, dans la souffrance, dans le sang et ans les larmes ; il y a une coopération ancienne et multiforme ; il y a enfin, un brassage humain de longue
date, qui a fécondé de multiples affinités socio culturelles et linguistiques. Tout nous condamne au dialogue, à la concertation,
et, d’une certaine façon, à vivre ensemble dans le respect de nos diversités, voire de nos différences. D’autre part, notre
compagnonnage multiséculaire évolue dans un contexte international en pleine mutation, où les vieilles amitiés côtoient les nouvelles, toutes deux d’égale dignité.
Et à l’image de ce nouveau monde, l’Afrique a aussi a changé, beaucoup changé, plus de 60 ans après ses premières indépendances. Comme partout ailleurs, les peuples africains voient le
monde en instantané. Ils aspirent légitimement au mieux-être et à la
prospérité. De son côté, l’Europe a aussi évolué. Sur les débris de la guerre, elle s’est reconstruite, a reconquis ses valeurs de liberté et de démocratie, et forgé un
regroupement régional élargi, avec un niveau d’intégration sans pareil. À mon sens, il faut, de part et d’autre, prendre
conscience de toutes ces mutations comme marqueurs du présent et du
futur ; et sur cette base, refonder, repenser et revitaliser nos relations. En langage informatique, je dirais que plus qu’une mise à jour, nous avons besoin d’un nouveau logiciel, pour ajouter à nos vieux
paramètres les nouvelles données de notre temps. Ce faisant, nous resterons
fidèles à notre vieille amitié
en nous adaptant aux exigences d’un monde plus ouvert. Alors que le cours de
l’histoire s’accélère sous nos yeux, bousculant les certitudes, les préjugés et
les habitudes, nous devons collaborer pour faire face à nos défis communs. Je pense, entre autres, au défi de la paix et de la
sécurité, aux vulnérabilités qui affectent les Etats, pas seulement en Afrique. Je pense aux menaces sanitaires transfrontalières,
comme la pandémie COVID-19, au péril
environnemental, marqué par un réchauffement climatique sans précédent,
aux opportunités et dérives du numérique, à la question migratoire, et à toutes les
formes de criminalité transfrontalière. La liste n’est certainement pas exhaustive.
Tous ces défis sont globaux. Leur prise en charge dépasse de loin les capacités de l’Etat-nation, si puissant soit-il. D’où la nécessité de travailler ensemble, dans un
esprit d’ouverture et de complémentarité.
Dans ce nouveau monde qui se dessine, on a souvent besoin d’un plus petit que
soi, comme le lion et le rat, dans la fameuse fable de La Fontaine. Ensemble, nous devons combattre le terrorisme en
Afrique, parce que notre proximité et nos intérêts communs font que quand
l’Afrique tousse, l’Europe éternue et vice versa. Ensemble, il nous faut bâtir
des partenariats consensuels rénovés et
mutuellement bénéfiques ; des partenariats co-onstruits sur le fondement
de priorités et valeurs partagées. Ensemble, nous devons agir pour l’assouplissement des règles de l’OCDE afin de mieux faciliter l’accès des
pays en développement, africains en particulier, au crédit export, à des
conditions de maturité plus longue et des taux d’intérêts plus soutenables,
pour renforcer l’investissement et les
échanges commerciaux entre nos deux continents. J’aime souvent rappeler que
l’Afrique, c’est 30 millions de km2, un milliard trois cents millions d’habitants ; et des besoins de financement de 130 à 170 milliards de dollars par an, selon les
estimations de la BAD, rien que pour les infrastructures. Or, comme partout ailleurs,
la transformation structurelle du continent
passe par la réalisation d’infrastructures
routières, autoroutières, ferroviaires, portuaires et aéroportuaires ; la
production agricole à grande échelle ; des
centrales électriques, des plateformes industrielles et numériques. Dans tous ces domaines, les besoins de l’Afrique sont
multiples et urgents. Et une Afrique qui produit, une Afrique en chantier, qui
trouve son compte dans le commerce et
l’investissement, pourra occuper sa jeunesse et offrir à ses partenaires davantage d’opportunités d’investissement, de croissance et de prospérité partagées. Dans cette nouvelle
dynamique que nous appelons de tous nos vœux, l’Europe, grâce à ses ressources, son savoir-fair et sa proximité, a toute sa
place en Afrique. Mais si nous voulons
consolider et valoriser davantage nos relations, nous ne devons plus nous
contenter du business assual. Nous avons intérêt à simplifier les formalités, procédures et conditions de financement des projets, dans le respect des règles de bonne gouvernance et de transparence.
Trop souvent en effet, ces facteurs retardent la formulation et l’exécution
des projets, ce qui fragilise l’efficacité de l’action publique. Dans le même esprit,
travaillons ensemble pour des institutions
internationales plus ouvertes et plus inclusives, comme nous l’avons réussi
avec l’admission de l’Afrique au G20 et l’octroi à l’Afrique d’un 3 e siège au
Conseil d’Administration du FMI. Ces deux exemples montrent qu’avec la volonté
politique, nous pouvons aussi réformer le Conseil de Sécurité des Nations Unies
et l’architecture financière internationale, y compris le FMI et la Banque mondiale.
Dans tous les cas, l’attentisme et le statu quo ne seraient pas la bonne option au risque de générer, selon l’expression avisée du Secrétaire général des Nations Unies,
une « fragmentation des relations internationales », avec la constitution de blocs concurrents, voire antagoniques. Ce n’est pas souhaitable.
Mesdames, messieurs, chers amis, l’histoire du régime démocratique, notre idéal commun, est inséparable de celle des libertés et droits fondamentaux qui permettent à l’être humain de vivre, de s’épanouir et de choisir librement ses dirigeants. Elle renseigne également qu’au-delà des principes et des textes, l’exercice démocratique repose, d’abord et avant tout, sur l’équilibre entre liberté, responsabilité et respect des Institutions et de l’ordre public. C’est ce qui fait la force du régime démocratique, mais aussi sa délicatesse et sa vulnérabilité, parce qu’il reste toujours un idéal à atteindre, une œuvre en construction dont l’échafaudage peut vaciller à tout moment. C’est dire qu’en la matière, nous devons faire preuve de retenue et d’humilité, que
l’on soit d’une démocratie dite vieille ou nouvelle. Si nous avons des idéaux
communs, nos expériences historiques et nos réalités socio-culturelles et
économiques sont différentes. Chaque régime démocratique évolue selon son propre métabolisme. Ainsi, pour nous, pays en développement, la réalisation des droits
économiques, sociaux et culturels est aussi prioritaire que l’exercice des droits
civils et libertés politiques. D’autre part, la tendance à l’émiettement du vote montre que la préservation du régime démocratique réside aussi dans le partage
du pouvoir pour stabiliser les institutions en pacifiant l’espace politique. Finalement, comme nous avons des idéaux communs,
nous avons aussi des ennemis communs : c’est le populisme, le radicalisme et
l’extrémisme violent. Ce sont les pires menaces à la démocratie et à la stabilité
de nos pays, au nord comme au sud. Ce sont elles que nous devons combattre, sans concession et sans répit, ensemble et solidairement. C’est le prix à payer pour
que vivent les idéaux qui nous rassemblent. J’y reste pour ma part engagé. Avec mes encouragements et mon soutien, je souhaite plein succès à vos travaux.
Damien TOLOMISSI