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Situation des médias: Les prédateurs de la presse béninoise

Si certains se réjouissent de l’avancée qu’a connue le Bénin dans le classement 2023 de Reporters sans Frontières (RSF), il reste que l’ancien numéro 1 d’Afrique en matière de liberté de presse stagne au fond de la classe. Du 121e rang, le Bénin a fait un «bond» qui lui a permis d’être classé, cette année, à la 113e place soit une légère évolution de 8 points. Il n’y a donc pas de quoi se réjouir.

Dans son rapport publié ce 3 mai 2023 à l’occasion de la Journée internationale de la liberté de presse, RSF a rappelé la place d’or qu’occupait le pays dans les années 1990 avant d’évoquer les raisons de la contre-performance dans laquelle le Bénin stagne. On peut y lire ce qui suit: «le pouvoir a une influence décisive sur la nomination des principaux responsables des médias d’Etat et de la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication… l’ORTB, et particulièrement la télévision, est contrainte de relayer la communication du régime alors que les médias proches de l’opposition sont soumis à de fortes pressions.» RSF continue son analyse en faisant remarquer que «de nombreux médias s’abstiennent de critiquer ouvertement le gouvernement afin d’éviter une fermeture par la HAAC» au même moment où les autorités essaient d’influencer le traitement de l’information.

En réalité, certaines pratiques évoquées par Reporters sans Frontières datent pratiquement du retour de la démocratie, à savoir les tentatives de museler la presse soit par des intimidations soit par la corruption sans toutefois que cela ne suscite la peur des représailles chez les professionnels des médias. Pour mieux protéger les journalistes, le Code de l’Information et de la Communication en République du Bénin adopté le 15 mars 2015 a aboli les peines de prisons pour les délits de diffamation.

Hélas, les peines de prisons sont revenues avec à la clé la détention préventive que la presse béninoise n’avait pas connue depuis des décennies. L’arme pour faire taire les journalistes n’est autre que le Code du numérique, un document fourre-tout au nom duquel poster un article sur internet peut valoir à son auteur d’être poursuivi pour cybercriminalité.

Mais les autorités gouvernementales ne sont pas les seuls responsables de l’état de la presse béninoise. En fait, tous les acteurs de ce secteur sont des prédateurs, à des échelons divers. Lorsqu’un journaliste dont les parents ont payé une fortune pour se faire former accepte de se faire utiliser par une entreprise sans contre-partie salariale, à quoi veut-on que cela aboutisse? Nombreux sont ces professionnels des médias qui se laissent miroiter les gains faciles, à savoir des prébendes distribuées sur les lieux des reportages. Et comme résultat, les médias ne diffusent que des communications, ce qui de fait les détourne de leur fonction première de fournir l’information au public.

Dans le même temps, les propriétaires des entreprises de presse se frottent les mains, parce qu’ayant une main découvre corvéable. Mais, en réalité, peut-on parler d’entreprises de presse au Bénin? Certes il y en a quelques-unes, qui tentent de survivre, mais la plupart ne sont entreprises que de noms. L’ensemble du bureau se trouve dans le sac du Directeur général qui nomme un directeur de publication qui n’est bon que pour aller au tribunal en plus de remplir toutes les fonctions d’une rédaction normale. La dernière trouvaille, c’est de créer une web TV, en fait généralement un compte sur Youtube où l’on poste des reportages qui recueillent, dans le meilleur des cas qu’un millier de vues.

Au regard de ceci, tout est à revoir dans le secteur des médias au Bénin. Le chef de l’Etat a ordonné à la HAAC de faire des propositions en vue d’une réforme du secteur. Plutôt que de se contenter d’un replâtrage, les acteurs concernés devraient plutôt procéder à remise à plat et à une refondation des médias du pays.

Pierre MATCHOUDO

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