Une pratique à la peau dure
Nombreux sont ces hommes qui n’approuvent pas que leurs femmes exercent une activité génératrice de revenus ou même qu’elles travaillent dans la fonction publique ou privée. Cette pratique qui jadis, avait le vent en poupe à cause de la tradition, semble visiblement avoir la peau dure. De plus en plus de couples au 21e siècle y sont confrontés…
Dame Emilienne A. la quarantaine, ne travaille plus, ni à son propre compte, ni dans une tierce structure. Ceci, malgré son diplôme en restauration et hôtellerie. Loin de Cotonou depuis quelques mois et joint à travers le réseau social WhatsApp, elle réussit à surmonter sa réticence pour finalement se confier à nous. «Il (son mari) n’a jamais voulu que je travaille pour quelqu’un», avance-t-elle. Selon ses explications, elle vivait au Bénin avec son mari et ses deux enfants. Mais, celui-ci, dans le but de l’éloigner de son activité, a décidé de les installer à Lomé. Pour celle qui, entre temps, a travaillé dans un hôtel au Bénin contre le gré de son mari et qui, par la suite, s’est installée à son propre compte toujours sans avis favorable de son homme, toutes ces années d’étude n’auront servi à rien. Même si elle affirme ne pas réellement savoir la raison qui participe de son refus, elle se résigne tout de même à ne plus chercher des noises. Entre la jalousie de son mari de la voir s’en aller avec un autre et l’éducation de ses enfants, elle a fait son choix. «A Lomé, je ne fais rien. Je mange, je dors et je prends soin des enfants», confie-t-elle, heureuse de la paix que sa résignation a apporté à son couple.
D’une femme à une autre, l’histoire ici aussi se conte. Enseignante dans un collège à Abomey-Calavi, notre anonyme a connu son époux, lui aussi enseignant sur les blancs à l’Université d’Abomey-Calavi. Mais une fois sous le toit de celui-ci, les donnes vont changer. «Il m’a dit qu’il ne veut pas que je travaille en tant qu’enseignante. Que, nous ne pouvons pas exercer le même métier. Qu’il maîtrise bien le milieu et qu’il ne désire même pas que je travaille pour le compte de quelqu’un. En lieu et place, il s’engage à m’ouvrir une boutique que je vais gérer. A cela, j’ai opposé un refus qui continue d’être la source de tous nos problèmes aujourd’hui depuis 7 ans que nous sommes ensemble», relate-t-elle. En effet, suite à son refus, notre source doit désormais se contenter du seul enfant qu’elle a et même, participer à part égale, à toutes les dépenses du foyer. «Mon enfant a 7 ans. Nous n’avons pas d’autres puisque mon mari s’y oppose avec la menace que si jamais ça arrivait, je devrais en prendre soin toute seule. De même, pour la scolarisation de l’enfant et toutes autres dépenses dans notre couple, il a imposé la règle du 50/50», a-t-elle fait savoir. Et, selon ses dires, la seule condition pour qu’elle ait un second enfant et que l’homme joue pleinement son rôle, est qu’elle abandonne son activité.
Mais, le cas d’Angélique s’avère plus complexe. «Mon mari ne veut pas que je travaille parce que la famille de mon époux a refusé que leur enfant épouse une femme intellectuelle. Consigne qu’il a méprisée en m’épousant», laisse-t-elle entendre et de poursuivre «Mais une fois sous son toit, il s’est imposé au fait que je travaille. On a des enfants et il n’est pas capable de tout supporter dans le foyer mais il m’interdit de travailler». Ainsi, pour l’instant, dame Angélique se contente juste de s’occuper par moment de l’Ong de sa mère.
Pour sa part, Thérèse O. Diplômée d’Etat et mariée, a été obligée de tout laisser aussi pour prendre soin de sa famille. «Après cinq ans dans la fonction publique, j’ai été dans l’obligation d’abandonner mon service. J’ai eu une discussion avec mon mari et ensemble, nous avons décidé ainsi. J’avoue que c’est très difficile mais que faire ? C’est aussi ça le mariage. Il faut faire ce qu’il faut pour la famille. Moi, j’ai des boutiques dans la ville, donc ça va», confie-t-elle.
Absence de loi…
Le moins qu’on puisse dire, c’est que face au fait, la loi est restée muette. «Pas de possibilité pour la femme de porter plainte contre son mari sur cette pratique», a confié Me Allégresse Sasse, Greffier à la Chambre des affaires matrimoniales et de l’enfant au Tribunal de Première Instance de Première classe de Cotonou. A l’en croire, la seule solution est de trouver un terrain d’entente. Mais au cas où le couple ne trouve pas une solution alternative, une seule solution s’offre à la femme. «Si l’homme ne veut rien entendre, elle peut demander le divorce pour se libérer. Elle demande le divorce si elle le veut», suggère-t-il avant de clarifier : «dans ce cas, il n’y a pas de violences exercées sur la femme. L’homme ne lui a pas porté préjudice. Donc, la femme ne peut pas porter une plainte. Quand un homme refuse à sa femme de travailler, si la femme décide de continuer à rester dans les liens du mariage, là, elle va rester. Mais si elle veut se libérer pour travailler, elle demande le divorce. Elle fait son choix. Mais elle ne peut pas porter plainte contre son mari».
Son de cloche identique du côté du ministère des Affaires sociales et de la microfinance (Masm) qui estime que ces genres de cas se règlent entre famille. «Nos textes ne prévoient pas ça. Le code de la famille n’en a pas fait cas. Cette pratique se règle entre époux et épouse. D’autant plus que ce n’est pas dans la loi. Donc, on ne peut pas convoquer un tel mari pour ce cas. C’est une mauvaise forme d’exploiter la femme», dira Judith Padey Metenou, en fonction à la Direction des personnes handicapées et des personnes âgées du ministère des Affaires sociales, qui a pu répondre à nos préoccupations, en lieu et place du Chef service du Centre de promotion sociale empêché. Pour elle, si un homme refuse à sa femme de travailler, il doit tout supporter. Malheureusement, ce n’est pas le cas partout. «Le hic est que, certains hommes prennent en charge tout mais d’autres, ne font rien pour supporter les charges du foyer et refusent dans le même temps que la femme travaille», se désole-t-elle tout en invitant les partenaires au dialogue.
Quid du droit au travail…
David Affodjou, auteur de l’ouvrage «Le droit béninois du travail» affirme que le droit au travail peut être appréhendé comme une prérogative constitutionnelle et universelle reconnue à tout individu. A l’en croire, c’est la faculté dont dispose le citoyen en âge de travailler de prétendre ou d’exiger un travail décent devant lui permettre de subvenir à ses besoins essentiels et existentiels ainsi qu’à ceux de sa famille. L’article 23 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme proclame que «toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage». De même, le Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, après avoir précisé dans son article 6, aliéna 1er que les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit au travail qui comprend le droit qu’a toute personne d’obtenir la possibilité de gagner sa vie par un travail librement choisi ou accepté, et prendront des mesures appropriées pour sauvegarder ce droit, il importe donc que les voix s’élèvent pour recadrer cette pratique qui de nos jours prend de l’ampleur. C’est aussi ça, la liberté de la femme.
Réalisation : Abdul Fataï SANNI