Dans un workshop organisé par le journal Bénin Intelligent, Michaël Matongbada, chef de l’équipe Sahel et pays côtiers au Center for civil Conflict (Civic) a échangé avec les professionnels des médias sur le thème : « Rôle des OSC et des acteurs des médias dans la prévention de l’insécurité au Bénin ». Dans ce premier numéro, il aborde la question du traitement de l’information sur la sécurité par un journaliste.
Comment est-ce qu’un journaliste généraliste peut aborder la question du terrorisme ?
De ce que je lis, je pense que ça se fait déjà. Quand on prend la question de l’insécurité pour un journaliste généraliste qui parle de beaucoup de faits, on peut voir comment est-ce que le phénomène affecte aujourd’hui l’accès aux soins de santé dans certaines zones. On peut voir comment est-ce que l’insécurité est vécue par les femmes ou les filles. On a des déplacés de certains pays vers le nord du Bénin, et du nord vers des zones plus sécurisées. Ces déplacés sont soit dans des familles d’accueil ou pas. Une fois que vous quittez chez vous, la façon de vivre est différente. Donc on peut s’interroger sur comment les femmes ou filles vivent quand elles quittent chez elles. Comment est-ce qu’elles vivent cette nouvelle vie. Et est-ce que c’est pris en compte par les OCS qui travaillent sur les questions de santé sexuelle reproductive. Parce que au Sahel, lorsque les populations se déplacent, elles sont vulnérables et il y a de nouveaux défis qui se posent. Ces populations ont besoin de ressources financières. On se rend compte que parfois les populations autochtones exploitent cette vulnérabilité de ces gens qui se sont déplacés. Donc c’est des choses qu’on peut analyser. Les difficultés rencontrées qui ne sont pas toujours prises en compte très rapidement par les autorités. Par exemple, l’accès des enfants à l’école. Dans un pays dont je tais le nom, le déplacement des populations d’une zone à une autre, pendant les vacances a fait que lors de la rentrée les écoles se sont retrouvées avec plus d’effectifs. Et il y avait très peu de salles de classes. Les autorités de la zone n’ont pas pris en compte le déplacement pendant les vacances. Et à la rentrée on s’est retrouvé avec beaucoup d’enfants inscrits. Donc ce sont des choses qu’un journaliste peut analyser. Quels sont les défis de ces déplacements sur la scolarité des enfants et déjà alerter pour dire à la rentrée prochaine, vu qu’il y a de déplacement, on risque d’avoir très peu de salles. C’est déjà du plaidoyer. On peut même aller voir les députés pour savoir quelle est leur compréhension du phénomène. Comment est-ce que au niveau des lois, tout ce qui est voté à l’assemblée, comment cela peut impacter et prendre en compte les besoins de protection des populations civiles.
Lorsqu’il y a cette insécurité, forcément il y aura beaucoup d’actions des OSC dans le nord du Bénin. Cela a également des implications. Il y aura plus d’emplois qui seront créés. Mais il faut faire attention à ce que lorsqu’il y a cette augmentation, que ça n’est pas d’autres revers sur les populations. Que cela ne nuise pas davantage la population, que ça ne rend pas la rend pas dépendant. Parce que c’est des situations qu’on vit au Sahel. Lorsque les ONG quittent, c’est tout un nombre qui était employé qui ne le sont plus. Il y a pleins de populations qui s’étaient sous assistance et qui ne l’ont plus. Et il n’y a pas eu un processus de désengagement ou de passage de ces situations d’assistance à une situation où ils ne sont plus assistés. Donc c’est des réflexions où on peut croiser l’insécurité avec plusieurs domaines et alerter les décideurs.
Comment publier sans tomber dans l’apologie du terrorisme ?
Je me rappelle quand la situation avait commencé au Mali, c’était l’une des questions sur laquelle on a longtemps débattu. Parce que parfois quand les médias veulent publier, on veut toujours le sensationnel pour être le premier à être lu. Mais qu’on le veuille ou non, il y a forcément un besoin de suivi des incidents. C’est important de le faire. Il y a des structures qui font cela. Voilà ce qui s’est passé sur le temps les causes et autres. Sans ça, on ne peut vraiment pas prendre de décisions. Donc ce besoin de suivi, il est important que les médias et les structures spécialisées le fassent. Dans ce suivi des incidents, il y a un besoin rigoureux dans la façon de faire. C’est parce que on est à Cotonou, on a reçu une information via WhatsApp, on partage et après on se rend compte une c’est une fausse information. Il faut être rigoureux dans la vérification des sources avant de publier les informations, surtout à un moment où la désinformation monte de plus en plus. Il ne s’agit pas de juste faire le suivi, mais de comprendre les causes. Parce que ce n’est qu’en comprenant ou en analysant les causes des incidents qu’on peut mieux alerter ou informer les décideurs. Si c’est juste de dire ” Trois civils tués au nord du Bénin” et on s’arrête là et ne pas essayer de comprendre les causes, on risque juste de passer en relais de l’information. Il est aussi important d’analyser l’impact de ces incidents sur la vie politique, sociale, économique, etc. Ce sont des éléments pour ne pas tomber dans l’apologie du terrorisme. Egalement les photos, les vidéos, dès qu’il y a un incident tout le monde veut filmer et on veut être le premier à partager sur tous les canaux pour dire voilà comment est-ce que ça s’est passé. En fait, on fait un peu l’apologie là. Parce que c’est ce que ces groupes veulent. Ils veulent semer la terreur. Quand ils font l’attaque et les vidéos existent, c’est pourvoir semer la terreur et montrer qu’ils ont des capacités d’actions et affaiblir le mental et la combativité des forces de défense de sécurité. Je pense que ce sont des choses dont on doit se garder de faire et se baser sur le suivi des incidents pour informer la prise de décision. Que ce suivi soit assez rigoureux, en termes de vérification des sources d’information.
Damien TOLOMISSI