Précarité menstruelle à Sô-Ava : Briser le silence pour sauver l’avenir des filles

À Sô-Ava, commune lacustre du Bénin, les règles riment trop souvent avec précarité, honte et exclusion. Entre manque d’eau potable, protections hygiéniques inaccessibles et tabous persistants, les femmes et jeunes filles vivent leurs menstruations comme une épreuve. Pourtant, des solutions existent : éducation, mobilisation des parents et actions des ONG ouvrent une lueur d’espoir. Enquête sur un enjeu de santé publique et de dignité.
En effet, il s’agit d’un tabou persistant et une précarité silencieuse qui compromettent leur bien-être, leur santé et leur maintien à l’école. « J’ai appris seule à gérer mes règles. Je n’en ai jamais discuté avec mon père, avec qui je vis seule depuis le décès de ma mère », confie Célestine, 18 ans, élève en classe de seconde. Elle continue : « J’ai eu mes premières menstrues quelques jours seulement après sa mort. Mon père, seul à s’occuper de moi et de mes deux frères, n’avait plus le temps pour ce genre de détails. J’ai appris seule à gérer ce changement.», Célestine vit à Sô-Ava, un milieu lacustre où l’eau potable est un luxe. «Je n’avais aucune connaissance des protections hygiéniques. J’ai juste pris quelques morceaux de vieux tissu pour me protéger. Malgré cela, mon uniforme kaki était souvent taché, ce qui me valait moqueries et humiliations de la part de mes camarades, se souvient la jeune fille, les yeux larmoyants.
La lueur d’espoir grâce aux ONG
Aujourd’hui, la jeune fille gère mieux ses menstruations grâce à l’aide d’organisations locales. « Depuis quelque temps, des ONG nous distribuent des couches hygiéniques réutilisables. Depuis que j’en ai, je suis plus sereine. Je n’ai plus peur que mon uniforme soit taché ». Cependant, « ici à Sô-Ava, on n’a pas d’eau potable, regrette Célestine qui dénonce une vie sans dignité. « Le fleuve que vous voyez, sert à tout : la vaisselle, le bain, la lessive… Je préfère ne pas vous dire tout ce qu’on y trouve. »
Un agent du Guichet Unique de Protection Sociale (GUPS) confirme cette réalité : « L’hygiène menstruelle est un vrai défi à Sô-Ava. Les filles sont souvent surprises par leurs premières règles. Résultat : certaines s’absentent de l’école pour éviter les moqueries, d’autres ne savent tout simplement pas comment gérer leurs menstruations pendant les cinq jours. »
Quid du rôle des parents ?
Barthélemy, la cinquantaine, père de trois filles, estime que les parents doivent briser le silence. Il propose son astuce : « C’est simple de parler de ces choses. On peut commencer par des compliments sur l’habillement ou parler d’hygiène corporelle, pour ensuite aborder la question des règles ». Le géniteur rappelle la responsabilité parentale : « Les parents, mère comme père, doivent s’assurer que la fille ait ce qu’il faut pour son hygiène menstruelle. Et pour celles qui passent la journée à l’école, il faut leur fournir le nécessaire ». Barthélémy n’écarte pas les responsables politiques. Pour lui, « le gouvernement doit équiper les écoles et les marchés en infrastructures adéquates. Et surtout, il faut rendre l’eau potable disponible. Sans cela, comment parler de dignité ? » S’interroge-t-il.
Éducation, dialogue et consentement
La précarité menstruelle dépasse le seul plan de l’hygiène, de l’avis d’Aïchatou Salifou. Pour la consultante en santé menstruelle, il s’agir d’un enjeu de santé publique. Et d’ajouter qu’«il faut briser les tabous autour de la sexualité. Les questions des enfants sont des occasions précieuses pour échanger, pour leur apprendre à connaître leur corps ». Elle insiste sur le fait qu’un bon cadre d’échange familial favorise aussi une meilleure éducation au consentement et à la prévention des violences sexuelles. «Quand une fille comprend d’où viennent ses règles, elle comprend aussi les limites de son corps. Cela peut l’aider à se protéger. » Elle conclut, en disant que « Ce rôle n’est pas réservé exclusivement aux femmes. Les hommes aussi peuvent et doivent participer à l’éducation menstruelle. Il faut juste utiliser un langage simple, clair et adapté à l’âge de l’enfant», conseille la spécialiste.
Auteur : Fleur Olive OUSSOUGOE, journaliste Spécialiste DSSR et Genre