Paranoïa présidentielle : L’illusion du dauphin fidèle

Passer le pouvoir n’est jamais sans danger. À travers l’Afrique et le monde, les ex-chefs d’État qui croyaient avoir choisi des successeurs loyaux en font la douloureuse expérience : leurs héritiers se retournent contre eux, transformant la passation en procès, en purge ou en exil forcé. Du Congo à l’Angola, en passant par la Mauritanie, une même mécanique se répète – celle de la trahison calculée. Décryptage d’une malédiction politique qui n’épargne personne, pas même les dirigeants les plus retors.
Quand, à l’aube de 2019, Joseph Kabila choisit de transmettre le pouvoir à Félix Tshisekedi plutôt qu’à Martin Fayulu – son propre poulain ayant échoué à rallier suffisamment de soutiens, le président congolais sortant pensait sans doute avoir trouvé un successeur docile. Un « gros bébé », comme certains le décrivaient, aux joues rondes et à l’allure inoffensive, qui ne représenterait aucune menace une fois les clés du palais présidentiel entre ses mains. Pourtant, cinq ans plus tard, le Sénat, sous influence de Tshisekedi, retire l’immunité à Kabila et le poursuit pour son soutien présumé à la rébellion du M23. Preuve que les apparences sont trompeuses et que les héritiers politiques peuvent se muer en redoutables adversaires.
L’Angola, ou la chute d’une dynastie
L’histoire se répète, avec des variations, à travers le continent. En Angola, João Lourenço, choisi par Eduardo Dos Santos comme successeur en 2017, devait incarner la continuité d’un système verrouillé par près de quatre décennies de règne sans partage. Dos Santos, patriarche méfiant mais vieillissant, croyait pouvoir passer une retraite paisible après avoir installé un fidèle. Erreur. En quelques mois, Lourenço lance une vaste purge, destituant les enfants de Dos Santos – notamment Isabel, ex-PDG de la Sonangol – et ouvrant des enquêtes pour corruption. Le clan Dos Santos, jadis tout-puissant, est contraint à l’exil, le patriarche mourant en Espagne, loin des palais de Luanda.
Mauritanie : du frère-ami au juge impitoyable
En Mauritanie, le scénario est tout aussi cinglant. Mohamed Ould Abdel Aziz, qui dirigea le pays d’une main de fer de 2008 à 2019, cède volontairement le pouvoir à son « frère » et ancien ministre de la Défense, Mohamed Ould Ghazouani. Un passage de témoin en apparence harmonieux, jusqu’à ce que Ghazouani autorise des enquêtes pour détournement de fonds, abus de pouvoir et enrichissement illicite visant son prédécesseur. Résultat : en 2023, Abdel Aziz écope de quinze ans de prison. Une chute spectaculaire pour celui qui pensait avoir sécurisé son avenir en plaçant un homme de confiance au sommet.
La malédiction du dauphin : un phénomène global
Cette tendance ne se limite pas à l’Afrique. En France, Nicolas Sarkozy, après avoir soutenu François Fillon pour la présidentielle de 2017, voit son ancien Premier ministre se distancer publiquement de lui une fois les scandales judiciaires de l’ex-président éclatés au grand jour. Aux États-Unis, Donald Trump a multiplié les procès contre d’anciens protégés (comme Mike Pence) devenus critiques à son égard. Même en Corée du Sud, Park Geun-hye, destituée en 2017, fut trahie par des alliés qu’elle avait elle-même nommés.
Pourquoi les successeurs trahissent-ils ?
Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène. En effet, la légitimité par la rupture. Il s’agit d’un nouveau leader qui peut chercher à affirmer son indépendance en s’attaquant à son prédécesseur, surtout si ce dernier est impopulaire. Ensuite, les pressions extérieures. Ici les partenaires internationaux ou l’opinion publique exigent parfois des comptes, poussant le successeur à sacrifier son mentor. Et enfin la peur d’être évincé. Un ancien président reste une menace s’il conserve des réseaux. Mieux vaut le neutraliser.
L’impossible confiance
Pour un chef d’État, choisir un dauphin est un pari risqué. Croire en sa loyauté relève souvent de la naïveté, car le pouvoir ne se partage pas, il se conquiert. Et une fois installé, le successeur n’a qu’une obsession : rester. Quitte à marcher sur la dépouille politique de celui qui l’a propulsé.
Damien TOLOMISSI