Parakou : L’envers sombre du microcrédit pour les femmes

 Parakou : L’envers sombre du microcrédit pour les femmes

Les agences de microfinance sont de plus en plus nombreuses à s’installer à Parakou. À première vue, ces structures privées semblent offrir une lueur d’espoir à des milliers de femmes entrepreneures, souvent exclues du système bancaire classique. Pourtant, derrière le vernis de l’autonomisation féminine et de la lutte contre la pauvreté, se cache une réalité beaucoup plus sombre : celle d’un système qui précarise et enchaîne ses bénéficiaires à une spirale d’endettement sans fin.

Aïssatou, 38 ans, vendeuse de condiments au marché Arzèkè de Parakou, fait partie des nombreuses femmes qui ont succombé aux sirènes du microcrédit. Elle se souvient encore de ce jour de 2019 où une agente de terrain d’une célèbre institution de microfinance l’a approchée.

« Elle m’a expliqué que je pouvais obtenir un prêt de 500 000 FCFA remboursables en douze mois pour agrandir mon étal et augmenter mes revenus. Elle disait que c’était facile, qu’il suffisait de rembourser petit à petit. J’ai accepté sans hésiter », confie-t-elle, assise sous le hangar en tôle de son petit commerce.

Les premiers mois, Aïssatou parvient à respecter l’échéancier mensuel imposé par l’institution. Mais très vite, entre les frais de scolarité des enfants, les dépenses de santé et les imprévus quotidiens, les remboursements deviennent un poids difficile à porter d’autant plus que les ventes ont chuté à cause de la situation de plus en plus difficile dans le pays.

« Quand je n’arrivais pas à payer, d’autres agences me proposaient un nouveau prêt pour couvrir l’ancien. Et moi, je croyais que c’était la solution. J’ai pris un deuxième, un troisième crédit… Je n’en sortais plus », raconte-t-elle, la voix serrée.

Le cas d’Aïssatou est loin d’être isolé. Selon une enquête menée en 2024 par une ONG locale de défense des droits économiques, près de 68 % des femmes bénéficiaires de microcrédit à Parakou ont contracté plus de trois prêts en moins de cinq ans. Le phénomène est tel qu’on parle désormais d’« accoutumance au crédit ».

Les montants modestes accordés souvent entre 30 000 et 500 000 FCFA  ne permettent pas de véritables investissements productifs. « Ces sommes servent le plus souvent à acheter des marchandises pour la revente immédiate ou à couvrir des charges domestiques urgentes. Résultat : les revenus générés ne suffisent jamais à rembourser les échéances et à vivre dignement », explique une sociologue à l’Université de Parakou.

De plus, les taux d’intérêt pratiqués par certaines structures frôlent les 15 à 25 %, auxquels s’ajoutent des frais de dossier et des pénalités en cas de retard. Le remboursement hebdomadaire, bihebdomadaire ou mensuel, imposé par la plupart des agences, étouffe davantage les bénéficiaires.

« C’est un système qui crée une dépendance. Les femmes, sous pression, en viennent à emprunter dans plusieurs structures à la fois pour couvrir les dettes précédentes. Elles sont piégées dans un cycle infernal », ajoute la sociologue.

Au-delà des aspects économiques, le microcrédit a aussi des conséquences sociales. Dans la tradition béninoise, l’endettement est souvent perçu comme un signe d’échec ou de mauvaise gestion. Les femmes qui n’arrivent plus à honorer leurs engagements financiers subissent alors la stigmatisation et la honte.

Mariama, 45 ans, vendeuse de beignets dans le quartier Zongo, témoigne : « Quand tu es en retard, les agents de microfinance viennent te chercher chez toi, devant tout le monde. Ils crient ton nom, elles te menacent. J’ai vu des femmes fuir la maison ou se cacher au marché pour éviter la honte. »

Ironie de la situation : alors que les femmes s’endettent et peinent à améliorer leurs conditions de vie, les agences de microfinance, elles, affichent des bilans florissants. La forte demande de crédits et la rentabilité élevée du secteur ont conduit à une prolifération des institutions à Parakou.

« C’est devenu un business très lucratif, où les pauvres payent cher pour accéder à un peu de liquidité », dénonce un militant associatif. « Et cela se fait sous le couvert de la solidarité féminine et de la lutte contre la pauvreté. ».

Pour Aïssatou et bien d’autres femmes, il est urgent que les pouvoirs publics prennent la mesure du phénomène. « Ce qu’on veut, ce n’est pas qu’on nous prête de l’argent pour qu’on reste pauvres à vie. C’est qu’on nous aide à avoir des activités solides, à travailler dignement », conclut-elle, le regard déterminé.

Angèle SAKOUA

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