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Mariage forcé : Le phénomène persiste à Toviklin

Situé à 150 km de Cotonou, Toviklin est l’une des six communes que compte le département du Couffo. Dans cette contrée du Bénin, les filles sont toujours en proie aux mariages forcés ou précoces. Malgré l’existence de nombreux textes, le phénomène résiste au temps et à la législation. Ceci, comme si l’arsenal mis en place par l’Etat est fait de failles ou qu’il n’est pas bien mis en œuvre pour éradiquer cette pratique des mœurs que partagent cette commune avec les autres communes du département.

A. Atchiwé, a 17 ans maintenant et a échappé au mariage forcé et précoce en 2015. De parents divorcés, elle vivait chez sa mère au Togo. Elle avait 11 ans et passait au CM1 quand son père est allé la récupérer chez sa mère. Une fois à Doko, l’un des arrondissements de Toviklin, elle commence le CM1. Mais, à l’âge de 12 ans, son père a décidé de la donner en mariage à un homme qui en plus est beaucoup plus âgé qu’elle. La fille est allée raconter la situation aux maîtres de son école. Quand les maîtres sont intervenus, le père, un matin est allé dans l’école avec un coupe-coupe pour en finir avec eux. C’est à ce moment que le Centre de protection social (CPS) et le commissariat de Toviklin sont intervenus et le père a été interpellé. Il a été gardé pendant cinq jours avant d’être relâché. Et depuis 2015, la garde de A. Atchiwé a été laissée à Marie Juliette Oké, présidente de l’ONG Mahuli. Aujourd’hui, la fille est en instance d’obtention de son diplôme de haute couture.

Marie Juliette Oké raconte que depuis deux, le CPS a cessé de l’accompagner mais, elle arrive bien à subvenir aux besoins des orphelins qui sont à sa charge ainsi que les trois filles sauvées du mariage forcé ou précoce. Cette confidence est bien édifiante et malgré le temps, le phénomène persiste. «Oui c’est une réalité qui continue dans la commune de Toviklin », lâche Eulalie Gbédè, secrétaire général de l’ONG Tofodji. Selon une source dans cette commune, le rapport 2020 sur l’état du mal n’est pas encore près. Mais, en 2019, par exemple, 29 cas ont été enregistrés. En 2018, 26 cas ont été enregistrés. «Le mariage forcé ou précoce, c’est l’un des phénomènes culturels en vogue dans la zone. C’est un phénomène que se passe partout dans presque toutes les familles à Toviklin. Il y a des difficultés pour dénoncer. Et donc, c’est quelques-uns qui viennent dénoncer la pratique », confie la source. A l’en croire, ceux qui le font, c’est en général, ceux qui n’ont pas eu leur compte dans le mariage qui est en train de se tramer ou bien ceux qui se retrouvent être en position de concurrent avec la partie vers laquelle la fille est allée.

Une pratique à plusieurs variantes

A Toviklin, le mariage forcé ou précoce se fait de plusieurs manières. Soit c’est des rapts suivis de séquestration et après on va voir les parents de la fille pour les informer ou on n’y va pas. Et quand la fille tombe enceinte, elle est relâchée. Les parents de la fille se rendent compte que leur fille est enceinte et j’espère parfois en vain que l’auteur de la grossesse vienne à eux. Soit la fille est coachée  au point qu’elle décide un jour de prendre ses affaires et de rejoindre le mari. Soit ce sont les parents eux-mêmes qui fomentent bien leur coup et proposent le mécanisme par lequel les prétendants vont venir arracher la fille. L’instigateur peut être le père ou la mère ou un oncle paternel ou un oncle maternel etc. Barthérlémy Zinsou, président des religions endogènes et président des praticiens de la médecine traditionnelle du Couffo explique comment les parents sont complices dans l’enlèvement de leurs filles. Selon lui, des enfants sont à l’école ou en apprentissage pourtant, certains parents commencent par négocier avec leurs gendres pour venir les chercher. Ainsi, les gendres commencent par faire la cour aux jeunes filles. Sans que les filles ne comprennent rien, elles peuvent commencer par prendre de l’argent chez ces hommes. Mais, quand les hommes vont toucher les filles, les parents vont encore se lever pour dire qu’ils n’en savaient rien. Parfois, la fille est en apprentissage et par manque de moyens des parents, le garçon commence par financer la fille. Une manière d’influencer la fille et après, il arrache la fille et dit qu’il l’a marié. Certains sont même prêts à enlever la fille et l’amener à Djidja ou à Agounan ou au Nigeria.

Des motivations

D’abord, à Toviklin, cette pratique culturelle  a traversé le temps. Barthélémy Zinsou fait savoir tel que ça se fait aux temps anciens, la tradition était respectée de sorte que certains nombres de choses sont respectés. Il relève que même si la fille est enlevée, le mécanisme existe pour régulariser la situation. Et le but est de faire en sorte que la fille aille dans un bon foyer, dans une bonne famille même si le côté financier est pris en compte. Mais, cette tradition a été pervertie par d’autres considérations. Aujourd’hui, pour des raisons de maladie d’un des membres de la famille de la fille, on peut la donner en mariage. Par exemple, le père de la fille est peut-être malade et nécessite une intervention chirurgicale. N’ayant pas de moyens financiers pour faire face à cette opération, la mère ou la famille accepte l’argent d’un donateur qui prend, en échange, la fille à prendre en mariage. Si c’est chez un guérisseur, un pasteur ou chez un responsable d’Eglise que le père trouve satisfaction, c’est le même procédé. La fille peut être donnée en mariage pour éponger des dettes. Il y a également des pesanteurs sociologiques. «Par exemple, confie une source, la maman de la fille devrait se marier à un autre et ne l’a pas fait. Donc, la fille va prendre la place de sa mère dans la famille où elle était censée se marier ».

Des dispositions légales

Au Bénin, plusieurs lois ont été votées pour protéger l’enfant contre le mariage forcé. Des dispositions sont mêmes prises pour punir les auteurs et complices de mariage forcé. Loi n 2015-08 portant code de l’enfant en République du Bénin. L’article 129, du Code de l’enfant consacre que «l’enfant a droit à la protection contre toute forme d’exploitation et de violence ». Et l’article 181 stipule que «les pratiques conduisant au mariage précoce ou au mariage forcé des enfants telles que les mesures coercitives, la pression psychologique, le chantage affectif et la pression sociale et familiale intense, sont interdites ». L’article 376 du même code dit que «toute personne qui donne en mariage son enfant de moins de dix-huit (18) ans, hors les dispenses accordées par le code des personnes et de la famille, est punie d’un emprisonnement de trois (03) ans à dix (10) ans et d’une amende de cent mille (100 000) à cinq cent mille (500 000) francs CFA ». La loi no2011-26 du 9 janvier 2012 portant prévention et répression des violences faites aux femmes  en son article 31 indique que «Toute personne qui se rend coupable ou complice d’un mariage forcé ou arrangé ou concubinage forcé, comme défini à l’article 3 de la présente loi est punie d’un emprisonnement d’un (01) an à trois (03) ans et d’une amende de cinq cent mille (500 000) francs à deux millions (2 000 000) de francs. Toutes les personnes qui sont complices dans la planification et/ou l’exécution d’un tel mariage ou concubinage sont également coupables ».

Que faire face à la persistance du phénomène ?

«Il faut punir sévèrement. Il faut appliquer la loi avec toute sa rigueur dès que le cas subvient. Il ne faut pas se cacher derrière des considérations telles que les conséquences de l’emprisonnement du parent fautif. Car, les populations ont l’information mais continuent de s’entêter. Pour preuve, dès qu’elles donnent une fille en mariage forcé ou précoce et qu’une enquête est diligentée, tous ceux qui sont impliqués fuient. Donc, elles savent que ce qu’elles ont fait n’est pas bon », fulmine notre source. Mais, comme c’est des comportements qu’on veut changer, il préconise qu’il ne faut pas traiter les personnes impliquées comme des voleurs, braqueurs ou autres bandits. Pour lui, il faut humaniser le traitement de ces personnes. La justice doit être une justice sociale dans ce cas. Le mécanisme de sanction doit être différent à celui appliqué à d’autres délits. A l’en croire, un parent qui donne sa fille en mariage ne le fait pas dans l’intention de nuire à sa fille. C’est parce qu’il l’a fait pendant que la fille n’a pas encore l’âge ou que la fille ne l’a pas voulu qu’il tombe sur le coup de la loi. Donc la répression contre ce délit doit faire en sorte que le fautif ne soit pas vu comme un délinquant. Il faut peut-être expliquer à cette personne les conséquences que son acte peut engendrer dans la vie de la fille et pour le pays. On peut lui trouver des travaux d’intérêt général à faire et le relâcher. Pour Barthélémy Zinsou, il faut renforcer la sensibilisation. Et pour cela, les Centres de protection sociale peuvent être mis à contribution. En réalité, leur rôle est d’abord de dénoncer la pratique et d’amener la communauté à dénoncer cette pratique dès que ça se passe quelque part. Ensuite, il faut assister les parties qui veulent que les textes soient appliqués. Le rôle du CPS est de faire en sorte que les parents comprennent que ce n’est plus des pratiques qui doivent continuer à prospérer. Pour cela, le CPS organise les séances de vulgarisation des textes en vigueur au Bénin. Mais, le chef départemental des religions endogènes pense que les sensibilisations doivent être faites par la communauté même sur le contrôle des chefs coutumiers, traditionnels et chefs quartiers. Mieux, il trouve plus judicieux qu’il faut des punitions à l’échelle communautaire plutôt que la prison. Car, selon lui, quand on punit quelqu’un devant ses parents, ses frères et ses amis, non seulement il ne va plus tomber dans les mêmes travers, mais aussi, cela dissuade ceux qui ont à l’esprit de le faire. Mais, il faut veiller à cadrer les chefs coutumiers, traditionnels et chefs quartiers dans cet exercice. 

Arthur SELO (Coll)

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