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Malgré les arrestations et condamnations : Pourquoi les cybercriminels continuent d’opérer ?    

Au cours de l’année 2023, la moisson faite par l’Office central de répression de la cybercriminalité (OCRC) a ramené de gros poissons dans la nasse. Mais toujours est-il que, le mal résiste et persiste comme l’Hydre.

Au fur et à mesure que des têtes sont coupées ici, d’autres repoussent ailleurs. Dans cette lutte entre la police et l’axe du mal, bien rodé aux technologies digitales, les arnaqueurs ont toujours une petite longueur d’avance. Le temps de vider les poches ou les comptes des innocents avant que l’OCRC ne réagisse. Dans pareilles conditions, ne faut-il changer de fusil d’épaule ? La stratégie actuelle ressemble bien plus à la politique du “médecin après la mort”. Arrestations et répression d’accord, mais anticipation et renseignements affinés d’abord. Dans la lutte, nul ne sera de trop puisque le citoyen reste encore l’acteur principal. Le cybercriminel vient d’une maison, d’une famille. C’est le frère ou le fils de quelqu’un. C’est le mari ou le partenaire d’une femme. La carte de la collaboration avec la police et d’information sur des mouvements suspects s’avèrent nécessaires dans cette lutte, qui est loin d’être une fatalité.

Un marquage à la culotte qui fait tomber des têtes mais…

Car après avoir reçu ces fonds, explique Mohamadou R. Boni Tchaboue dans l’une de ses réalisations sur le sujet, ces jeunes cybercriminels mènent une vie qui est au-dessus de leur statut social : « Et comme le bien mal acquis ne profite jamais, ils dilapident ces sous dans la frime, en claquant des centaines de mille dans les maquis, les boîtes de nuit, bars climatisés et autres endroits de distraction. C’est dans ce tumulte que leurs alentours se font quelques francs et le plus souvent bénéficient des offres de pot de la part de ces cybercriminels. La plupart d’entre eux sont souvent victimes d’accidents de circulation et bon nombre sont fauchés par la mort de façon brusque et d’autres finissent dans des situations plus difficiles que leur statut social initial ».

Pourtant, le 03 mars 2023, au cours de sa rencontre hebdomadaire avec la presse, le porte-parole du gouvernement, a annoncé que la lutte contre le fléau sera sans répit. « Sur la cybercriminalité, je crois que c’est un chantier qui va être désormais permanent. Parce que, tant que les réseaux existent, il y aura toujours des gens pour se comporter autrement que les textes l’autorisent » a déclaré Wilfried Léandre Houngbédji. Le Porte-parole du gouvernement montre ainsi la détermination de l’Etat béninois à ne rien tolérer dans ce sens. Si on s’en tient à ses déclarations, il faut s’attendre à une lutte implacable et à des mesures fortes conformément au code du numérique et de procédure pénale en vigueur au Bénin. Mais plus la technologie évolue, mieux ces individus sans foi ni loi affinent leur stratégie d’arnaque.

Le désamour du travail

 « Le travail est tout ce qui peut demander à l’homme de dépenser ses énergies, son temps et ses compétences contre une rémunération, une contrepartie », affirme Banarbé Kouélo, écrivain, spécialiste des questions éducatives et d’orientation, promoteur de l’Ong Educ-Afrique. Malheureusement pour bon nombre de ces jeunes, se faire de l’argent par tous les moyens est leur crédo. « Plusieurs parents ont laissé de côté l’éducation de leurs enfants. Parce qu’ils n’arrivent pas à inculquer dans la tête de leurs progénitures les valeurs cardinales de la vie. Sinon comment comprendre qu’un jeune de 18 ans qui ne fait rien comme boulot s’achète une moto sans que cela n’effraie », s’offusque Blaise enseignant. Almira Simiclah, éducatrice spécialisée à Village d’Enfants SOS (VESOS) Abomey-Calavi dans eduactions.org, fait savoir que : « c’est la société qui a l’amour du gain facile. Les générations plus âgées ont, elles aussi, l’amour d’une vie plus facile et moins tracassante. Les jeunes ne font que refléter les tendances modernes de la société béninoise ». C’est pourquoi souligne Jean Pierre, diacre évangéliste : « La religion, la solution… »

La problématique de l’éducation morale

Comment amener cette frange d’âge à adhérer aux principes de la société au sein de laquelle elle vit. Des études ont montré que les enfants ayant reçu une solide éducation religieuse sont moins exposés aux déviances sociétales que les autres. Certes, la religion est dogmatique par nature, mais il reste qu’elle enseigne que tout écart de comportement est sanctionné, sinon par les hommes mais surtout par le Suprême, l’être invisible et omniprésent chez rien n’est secret. Les livres saints regorgent aussi d’histoires allant dans ce sens et montrent que tous ceux qui n’ont pas obéi aux lois ont toujours subi les conséquences de leur désobéissance.

Mais de nombreuses familles ont évacué toute référence à la religion si elles n’en ont jamais eu. Pire, il est de mode de rejeter tout ce qui est taxé de religion importée sans s’accommoder de principes naturels plus persuasifs. Tant que ce sera le cas, canaliser les jeunes sera une peine perdue. Il est vrai que le comportement de certaines personnes se proclamant être des interfaces entre les humains et l’invisible prête, parfois, à caution. Mais rejeter en bloc l’éducation religieuse en famille et ses principes, et au besoin dans le système éducatif, sous prétexte que des religieux sont corrompus reviendrait à jeter le bébé avec l’eau du bain. En effet, ces derniers ne sont ni l’être suprême dont ils se réclament, à tort, ni les détenteurs exclusifs de la vérité et du contenu des livres saints qu’ils sont supposés enseigner.

Autres solutions

Depuis, des voix s’élèvent pour inviter le gouvernement à opter pour une solution moins draconienne. En tout cas, c’est ce que préconisent des députés à l’Assemblée nationale tels que Koumagbéafidé et Malick Gomina. L’emprisonnement n’est pas la panacée au phénomène. « Je suis entièrement d’accord pour la manière dont la lutte se mène. Mais je voudrais qu’elle intègre le volet rééducation ou réinsertion afin que ces jeunes qui sont aujourd’hui incarcérés soient formés pour que du retour des prisons, qu’ils ne retombent pas dans les mêmes vices », a proposé Réginal Koumagbéafidé de l’Union Progressiste le Renouveau.

Son collègue du Bloc Républicain, Malick Gomina abonde dans le même sens. « Ce n’est pas le désir d’abandonner la cybercriminalité qui manque aux jeunes. Mais quand on les écoute, on comprend qu’ils le font parce qu’ils n’ont pas d’autres portes de sortie » a expliqué l’ex-maire de Djougou. Pour lui, de nombreux jeunes se lancent dans la cybercriminalité faute d’opportunités. Comme alternative, il propose au gouvernement d’ « accélérer le programme de la formation technique et professionnelle ».

Damien TOLOMISSI

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