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Les fesses : Du canon de beauté à l’industrie du voyeurisme

 Les fesses : Du canon de beauté à l’industrie du voyeurisme

Il est l’un des meilleurs de sa génération. De sa belle plume, Florent Couao-Zotti n’est pas prêt à garder son silence face à certains faits de la société. Lisez ce très beau texte, une écriture à déguster à satiété.

Elles sont devenues, sur les réseaux sociaux, l’une des parties les plus visibles du corps féminin. En photos, en vidéo, en écrits, en audios, elles sont évoquées, montrées et célébrées au point de créer des complexes chez celles qui en sont dépourvues ou celles chez qui Dieu n’a pas eu la bienveillance de servir dans les proportions raisonnables. Et il y en a de toutes les formes: pommées, pointues, relevées, évasées, en gouttes d’huile ou au contraire, en forme d’akassa écrasé contre le mur. Il est vrai qu’au regard des canons de beauté africaine, cette partie de l’anatomie est source inépuisable de bonheur total ou d’ennuis irréductibles. Sasamasso, le groupe togolais des années 80, a chanté les fesses de Lysa qui auraient jeté dehors l’oncle parti à la recherche de la bimbo, mais désormais perdu pour sa famille.

Chez nos sœurs qui n’ont pas le reposoir capitonné, le recours à la chirurgie plastique est devenu incontournable. Car, dans les capitales africaines, sont désormais installés les nouveaux gourous de la découpe qui, avec scalpel et bistouri, vous confectionnent des arrière-trains confortables. Inspirée de la technologie brésilienne (Bresilian Bult Lift), cette chirurgie est la nouvelle bible que s’offre la petite bourgeoisie africaine. En dehors des “executive woman”, il y a aussi les stars du cinéma ou de la télé qui n’hésitent pas à payer des fortunes pour la cause. Et celles qui sont moins nanties doivent se contenter de combinaisons en mousse avec fesses, seins et culottes de cheval bien matelassés. Au fond du panier, on retrouve la tantie du quartier qui, avec du cube épicé introduit dans l’anus, peut espérer voir surgir de la graisse sur ses popotins. À chacun son malheur.

Après les mèches humaines importées à coups de millions de francs, après les produits décapant qui détergent les visages, après les Makeup qui transforment les gueules de guenons en face de poupées, nous voilà encore avec de nouveaux artifices. Il est vrai que dans le monde, l’industrie de la beauté et de la chirurgie est celle qui, de loin, génère les gains les plus colossaux. Mais en Afrique où les législations sont inexistantes et où le reniement de soi a créé une nouvelle race de vendeurs d’illusions, les choses empirent au jour le jour. Nos sœurs sont les seules au monde à ne pas aimer leurs peaux, à ne pas supporter leurs cheveux, à ne pas se sentir bien dans leurs êtres. Je ne sais si les survivances de la colonisation suffisent seules à expliquer ce complexe. À moins qu’elles soient, comme dit le rappeur français d’origine tchadienne, MC Solar ” victimes de la mode”.

Pendant ce temps, les voyeurs des réseaux continuent à nourrir ces fantasmes. Et les africaines, fesses aux caméras, se mettent en scène, quitte à faire se retourner dans sa tombe l’écrivain congolais Sony Labou Tansi. Il disait, le romancier, auteur du magnifique roman l’Anté-peuple (Le Seuil, 1986), ces mots crus: “les fesses, il faut y aller en sachant que derrière, il y a les entrailles et le caca”.

Florent Couao-Zotti (Écrivain protéiforme et talentueux)

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