La CEDEAO: Un cinquantenaire et des interrogations

 La CEDEAO: Un cinquantenaire et des interrogations

C’est une commémoration qui se serait bien passée du climat de doute et d’incertitudes qui pèse aujourd’hui sur l’avenir de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). De toutes les organisations économiques régionales africaines, la CEDEAO a toujours été citée en exemple pour ses avancées considérables en matière d’intégration économique, de libre circulation des hommes et des biens, voire d’intégration financière.

En effet, cette zone économique et monétaire a cette singularité d’abriter quelques-unes des plus grandes économies d’Afrique anglophone et francophone reconnues pour leur dynamisme, à savoir le Nigeria, la Côte d’Ivoire, le Ghana ou le Sénégal. Elle accueille également en son sein une partie de l’Afrique lusophone, par le biais du Cap-Vert et de la Guinée-Bissau. On peut dire à cet égard qu’elle incarne un modèle fort encourageant d’intégration panafricaine à une échelle régionale.

C’est d’ailleurs fort de ces atouts que la CEDEAO s’est imposée comme le laboratoire d’expérimentation de la réforme du franc CFA, en dépit des lenteurs et des goulots d’étranglement que rencontre cette réforme monétaire ; mais aussi l’un des piliers de la nouvelle Zone de Libre Échange Continentale Africaine (ZLECAf). 

À l’instar de l’Union européenne, dans la perspective d’une plus grande harmonisation des normes, des valeurs et des principes de gouvernement, la CEDEAO s’est dotée d’une Haute Cour de Justice aux compétences supranationales chargée de dire le droit et de connaître des litiges. À l’exemple de l’Union européenne, la CEDEAO en tant qu’organisation économique dont le PIB cumulée de ses Etats membres s’élève à plus de 700 milliards de dollars en 2025, représentant un marché de plus de 400 millions d’habitants, a intégré l’importance, pour son attractivité et la fidélisation des investissements sur sol, de mettre sur pied des mécanismes pour une justice communautaire performante et impartiale. On peut en outre, pour conclure toujours à l’actif de la CEDEAO qu’elle a accompli des efforts importants en vue de l’émergence d’une citoyenneté ouest-africaine.

Géométrie variable

En cette année chargée de symbole pour cette institution sous régionale, il y’a cependant lieu de relever que depuis près d’une décennie, elle  s’est affirmée par une propension à procéder à un respect à géométrie variable des principes et des bonnes pratiques qui régissent le fonctionnement de ses membres. Cette tendance a notamment été relevée au moment des changements anticonstitutionnels de pouvoir dans certains pays de la région: Guinée, Côte d’Ivoire notamment.

Alors que la Conférence des Chefs d’Etat s’était montrée d’une extrême fermeté envers certains nouveaux régimes parvenus aux affaires par la voie des armes, envers certains autres, la CEDEAO a fait preuve d’une incompréhensible mansuétude. Cette dérogation envers ses propres principes, a accrédité auprès des opinions publiques africaines l’idée d’une CEDEAO extravertie, davantage attachée à la défense des intérêts de puissances néocoloniales que des peuples d’Afrique.

Dans son manifeste publié en 2022 et qui s’intitule, Vision 2050 : la CEDEAO des peuples : paix et prospérité pour tous, les chefs d’Etat déclarent :  «Encouragé par les résultats et l’impact de ladite vision, et reconnaissant à juste titre la nécessité de consolider cette réalisation dans la perspective de l’approfondissement et de l’extension des attentes légitimes des citoyens de la CEDEAO, la communauté a adopté et préparé une nouvelle vision destinée à guider notre trajectoire de développement pour les trente années à venir ».

Consolidation des liens séculaires

Or, ce contentieux qui oppose les technocrates et les politiques à certains peuples n’est pas encore entièrement soldé. Il a plutôt donné du grain à moudre aux Etats de la nouvelle Alliance des Etats du Sahel (AES).

Pour la pérennité de la CEDEAO et la consolidation des liens séculaires entre ses peuples, il est important de la voir se reconstituer autour de son noyau originel. Ce regroupement est d’autant plus impérieux et vital que les Etats membres, y compris et encore plus ceux qui se réclament de l’AES, font face à des défis sécuritaires d’une gravité extrême. La CEDEAO en a certes pris conscience depuis plusieurs décennies, mais jusqu’à présent il n’a guère été mis sur pied une véritable force régionale capable d’éradiquer cette menace.

Selon une étude de la Fondation Friedrich Ebert conduite par le chercheur Gilles Yabi et intitulée Le Rôle de la CEDEAO dans la Gestion des Crises Politiques et des Conflits. Cas de la Guinée et de la Guinée Bissau : « C’est en décembre 1999 à Lomé que les Chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO ont adopté le Protocole relatif au Mécanisme de prévention, de gestion, de règlement de conflits, de maintien de la paix et de la sécurité ».

Au regard de la détérioration de la situation sécuritaire dans les Etats de l’AES, de l’amateurisme dans la riposte aux attaques terroristes au Burkina Faso par exemple, de la baisse en intensité de puissance de l’appui des mercenaires de Wagner (devenu Africa corps), la mutualisation des forces des Etats membres de la CEDEAO demeure la seule parade efficace et durable face à l’expansion du terrorisme au Sahel qui s’étend dans des proportions inquiétantes. Il y’a lieu d’espérer que cette menace commune sera le tremplin vers la reconstitution de l’unité de demain.

Eric TOPONA MOCNGA, journaliste à la Deutsche Welle

Articles similaires

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *