Après la mise sur le marché de « Kidal » qui est un recueil de six nouvelles, Myrtille Akofa Haho, écrivaine béninoise a décidé de partager avec les lecteurs un de ses textes. Il s’agit de « Ordre de Mission ». Voici la troisième partie. Karanta maimakon !!!
Je gardais le silence et je dormais tout le temps avec le doudou de mon fils. Je voulais juste oublier et qu’on ne me rappelle pas que mon fils n’était plus là. Sètché faisait tout pour que je reprenne vie et courage. Il souhaitait qu’on voyage, ou que tout au moins je piaillasse comme à mon habitude. Mais des choses avaient changé en moi. Bien des ressorts avaient été brisés en moi. La musique m’ennuyait désormais au grand désespoir de mon ange de mari qui se désolait de ce que les poèmes qu’il écrivait pour moi n’avaient plus aucun effet ; j’étais devenue insensible, insipide, impassible. Je ne voulais qu’une seule chose : que mon petit Essé me revienne, qu’il se blottisse contre mon sein, que je le réchauffe dans mes bras, qu’il pleure et que je console, qu’il me sourit et continue de m’apprendre que sa joie de vivre, c’est d’être en sécurité entre mes bras. Je veux le pouponner, lui chanter des berceuses, le lancer et le rattraper, passer mon temps à lui faire des confidences. Son innocence me manque, sa candeur me manque et ce silence où il est à jamais descendu me remplit la tête de bruits inénarrables. Il allait déjà à quatre pattes, et je m’amusais à l’appeler mon « mille pattes. » Il fit une fièvre. Aussitôt, je l’amenai à l’hôpital. L’agent de santé me le prit des bras. Il braillait et se démenait de toutes ses forces. Je ne savais pas qu’il luttait déjà contre la mort. On le mit sous perfusion, après lui avoir fait certaines injections. C’est bien plus tard que je me rendis compte que l’homme en blouse n’avait pris ni sa température, ni son pouls ni sa tension. Mon fils gigotait comme un vers sur la braise. Le malheur voulut que je tombai sur cet apprenti sorcier qui avait précipité mon fils au séjour des morts. Idan ba haka ba, pourquoi ne m’a-t-il jamais retourné le carnet de soin de mon bébé ? Quel traitement lui a-t-il administré ? J’amenai mon bébé à l’hôpital vivant, et en revint avec son cadavre. Amertume. Douleurs sans nombres. La vie n’avait plus de sens pour moi. Une partie de moi était enterré avec Essé. La lecture ne me le fit pas oublier. Ni les consolations des proches et amis. Ni la tendresse de mon mari. Rien. Une seule chose m’intéressait. Sortir de ces quatre murs et n’en revenir que le soir pour pleurer mon bébé. S’était imposé à moi le vif désir de me secouer, comme le disait maman:
– Une femme qui ne se secoue pas ne saurait être un secours pour le monde.
L’inanité est le tombeau où croupit cette génération pourtant ambitieuse qui nourrit des rêves fous qu’il entend réaliser en siphonnant les acquis des autres. Si tu ne travailles pas, ma fille, tu es un cadavre ambulant ; car le jour où la source qui te comble aujourd’hui va tarir, tu périras à coup sûr…Je voulais travailler pour oublier un peu ma douleur. Sans rien dire à mon mari, je cherchai du travail. J’eus un poste à la préfecture. Je devrai commencer le mois suivant. J’entrepris un soir de lui en parler. Je repris un peu confiance. Je fis revenir l’ambiance de l’aurore de notre vie commune. Nous rîmes ensemble. Les promenades reprirent. Les weekends étaient chargés : plage, restaurant, boîte de nuit, spectacles. Un soir, je lui fis un bon diner et mis un peu de couleurs sur mon visage souvent triste. A son retour, l’accueil était à la hauteur de la nouvelle à annoncer : grande et chaleureuse. Une douce musique qu’il aimait écouter les soirs et le parfum qu’il m’avait offert le week-end dernier pour me voir sourire un peu. Il flaira une nouveauté et dit :-Hum ! Tu serais donc prête pour un nouveau bébé ? Je me tus un moment puis lui fit sa bise ordinaire. Il enchaîna :-Ok. Nous fêtons quoi ?
– Dinons d’abord, Sètché. Je te dirai ensuite. Je gardai ce sourire enjôleur et ce regard câlin qu’il aimait tant, juste pour maintenir son attention uniquement sur moi. Je savais qu’à ce moment-là il ne me refuserait rien. Nous finîmes de diner et je m’installai sur le canapé tout près de lui. Je me lovai dans ses bras. Les informations passaient ; et lui qui habituellement était très attentionné au journal télévisé, ne cessait de me regarder. Il était impatient de savoir. Je lui dis tout doucement, en tenant sa main, mon visage tourné vers le sien à présent :
– Sètché, je voudrais tellement que tu acceptes ce que j’ai à te dire.
-Kara, dis-moi, chérie. Dis-moi ce qui te ferait plaisir. Il faudrait que tu recommences à vivre, que tu redeviennes heureuse comme avant. J’eus un grand sourire. Ça s’annonçait bien. Il sourit aussi, et me fit une bise au front. Je la lui rendis.
– J’ai trouvé, chéri, de quoi renouer avec la vie, la bonne humeur. Il était tout heureux de m’entendre. Avant qu’il ne se prononce, j’enchainai :
– Je sais que ma peine, ces derniers jours, a rejailli sur l’ambiance de la vie commune. Le fait d’avoir trop ruminé le décès de notre fils, m’a rendue invivable ; je le reconnais et je te rassure que je vais y remédier bientôt.
– Je savais que tu reviendrais à de meilleurs sentiments, et que tu te trouveras de nouvelles raisons pour vivre. La vie ne nous attend pas, Ka sani.
– Oui, tu as raison.
Et quand on ne saisit pas chance à temps, on ne finit jamais de le regretter.
– Exactement ! Et c’est ce que j’ai fait !
– A bon ?
– Oui ! Quand on a un compagnon comme toi, on ne peut se laisser aller aux caprices du vent. Tu m’as appris que la vie est une occasion qu’il faut happer et que tant qu’on ne se bat pas pour ce qu’on aime faire le plus, on devient vite une épave.
– A la bonne heure, vive l’amour de ma vie. Qu’est-ce que tu me rends fier de toi! Tu es la meilleure. Tu sais quand me rendre joyeux.
– Toi aussi, surtout quand tu es si compréhensif et prévenant.
– Qu’est-ce qu’on peut te refuser, toi ?
– C’est pourquoi je suis heureuse de te dire que…Je sentis son cœur battre plus fort. Il haletait presque ; mais fit l’effort de dominer son impatience. (A suivre…)