Martin Falola. Son nom à l’état civil. Mais pour les intimes et pour un meilleur repérage, appelez-le Epassé et il vous répondra Présent. Ajouté Pépé, et il vous répondra par deux fois présents car Pépé Epassé le valorise davantage. Le pseudonyme Epassé est plus que son nom, c’est plutôt son ombre.
Né au quartier Missèbo dans le 5ème arrondissement à Cotonou d’une famille Goun de Porto-Novo, Joseph Djogbénou Falola et de Madeleine Kouton Goussanou, Pépé Epassé grandit à Akpakpa à quelques encablures du stade René Pleven, un stade colonial. 71 ans passé, 1m 65, il est un Dahoméen comme il aime s’appeler. Cheveux crépus, blanchâtres par les bords et noirâtres quand il reçoit une bonne teinte, Epassé n’est ni gros ni mince. Teint noir, yeux larmoyants, front large, sa carrure renvoie à un homme du 3ème âge mais l’anatomie et la bipédie sont encore en bonne place et fonctionnelles. Visage ridé, tacheté sur la joue droite, sans nul doute, conséquence du soleil africain et des intempéries de la vie sociale. A hakikanin gaskiya, Martin Falola fait partie de ceux-là dont on dit qu’ils ne portent pas leur âge.
La proximité de son quartier de jeunesse, avec le stade de football, René Pleven créa très tôt en lui un amour pour le ballon rond parfois difficile à expliquer. Tout petit, il jouait au football sous les couleurs d’Avizo, une équipe de quartier d’Akpakpa, présidée alors par Feu Samuel Aron puis par Frédéric Aniwamou, père de notre confrère Modeste Aniwamou. Sa génération est celle des Mathieu Tchibozo, ancien gardien de but de Postel Fc. Son poste de prédilection, le milieu de terrain avec une polyvalence des deux pieds. Jadis tout jeune, il faisait le mur du stade René Pleven soit pour aller jouer au foot soit pour aller donner de l’envie à ses envies. Mais bien que sa carrière soit restée au niveau quartier, Epassé ne s’est jamais éloigné des stades encore moins du football.
Un supporter fou des Requins de l’Atlantique
Supporter d’alliance DodjiGamélé de Cotonou dans les années 1960, Epassé connut par la suite les Requins de l’Atlantique, club phare et mythique de la capitale économique. Ce dernier est demeuré son club de cœur ; d’où le surnom Awissi, qui lui colle désespérément à la peau. Vous l’appelez Awissi, il vous répond Wassa. En vérité, Awissi-Wassa n’est rien d’autre que le nom fétiche, des Requins, les rouges et blancs. Des couleurs dont il a du mal à se séparer depuis 50 shekaru. Ne soyez pas étonné de le voir un jour de match, arborer une chemise ou t-shirt rouge, une culotte blanche, un chapeau chacal et des chaussures tout en rouge et blanc. Le tout drapé d’une écharpe rouge. Les Requins, il l’a dans son sang. Quand l’équipe remporte un match, il est aux anges, le contraire lui fait perdre l’appétit toute d’une nuit.
Inconditionnel des Requins, il le fait savoir à qui veut l’entendre surtout à ses rivaux, supporters des Dragons, qu’il ne cesse jamais de chambrer. Un rôle de chambreur qu’il joue à merveille et qui fait de lui un célèbre supporter aussi bien aux Requins qu’aux Dragons. Des anciens présidents des Dragons, Feu Moucharafou Gbadamassi, en passant par Séfou Fagbohoun, Jean Agondannou, il les a tous pratiqué autant qu’il a pratiqués Paul Gnanguénon, Henri Deguenon, Frédéric Affo ou encore Ganiou Soglo qui se sont succédé au directoire des Rouges et Blancs. Gara, même après ses 71 piges, il est capable de vous citer les prénom-noms-et postes des deux formations avec une excellente chronologie. Pépé Epassé à une mémoire d’éléphant. Mais ses relations avec les supporters des Dragons de l’Ouémé, ne se sont toujours pas bien passées. Pas étonnant lorsqu’on parle du football où parfois la guerre psychologique, les taquineries, les plaisanteries et les méchancetés font bon ménage. Après une victoire des Requins à l’une des Supers coupes jouée à Porto-Novo, la citadelle imprenable des Dragons, alors que Epassé manifestait sa joie, il fut pris à partie par des supporters hooligans. La suite de l’histoire est qu’il s’est retrouvé dehors par-dessus les grillages qui entouraient le terrain. Torse-nu et sans chaussure, il a dû regagner Cotonou en prenant la poudre d’escampette. Aujourd’hui lorsqu’il en parle, il en rit.
Martin Falola et son amour pour les équipes nationales
Supporter des Requins, il l’est aussi pour les Ecureuils, l’équipe nationale du Bénin. A ciki 1996, il fut élu meilleur supporter de la sélection nationale. A Pépé Epassé, on ne raconte pas un match des Ecureuils, il le vit lui-même parfois au-delà des frontières nationales. Combien de fois n’a-t-il pas pris un taxi pour aller assister à un match des Ecureuils dans les pays d’à côté, le Togo ou le Mali. Mais la plus grande expédition, qu’il effectua avec les Ecureuils fut celle de la Gambie à l’occasion des éliminatoires de la Can 2019. C’était un jeudi 15 Nuwamba 2018. « Cette date-là, je ne l’oublierai jamais », affirme-t-il. C’est un jour historique qui a marqué profondément le septuagénaire. « Depuis plus de 50 ans que je traine ma bosse dans le milieu de football, c’est la première fois que je prends l’avion ». Lui qui a connu le premier président de la Fédération Dahoméenne de football, Norbert Imbs. Ce baptême de l’air et cette marque de considération, il le doit à Mathurin de Chacus, l’actuel président de la Fédération béninoise de football qu’il ne cesse de bénir dès que vous évoquez ce souvenir. Bien qu’oublié pour le voyage des supporters dans le cadre de la 32ème édition de la Can en Egypte, Epassé n’en veut à personne car « Mathurin de Chacus m’a déjà tout fait », Yace.
Epassé, le papa des journalistes sportifs béninois
Outre la famille du football, s’il y a une famille à laquelle, il est véritablement rattaché, c’est celle des journalistes reporters sportifs. Au stade avant et après, il est toujours avec les hommes de media. Sur les plateaux de télé et dans les studios de radio, il se fait inviter et n’hésite pas à entonner les chants de mobilisation à la veille des matches parfois dans un vocabulaire atypique. « Mon Certificat d’étude primaire élémentaire, je l’ai passé en 1964. Je n’etais pas admissible et je n’ai plus jamais mis pied à l’école », rappelle-t-il. Le tout premier reporter sportif qui m’a honoré est feu Guy Galbert Ahouitonon, aime-t-il rappelé. Da 9 Oktoba 1996 il a annoncé le décès de mon père dans le journal parlé de 13h sur la radio nationale, qui suis-je pour mériter cela. Il côtoya également Alex Chodaton, un autre journaliste-reporter sportif émérite de l’Ortb. Sa carte de visite dans le monde des hommes de la plume et du papier, est assez riche.
Epassé, le styliste
Généreux, franc, honnête, Pépé Epassé est aimable et distribue la joie partout où il sent le chagrin. Il a le don des mots et des expressions pour vous arracher un petit sourire. Véritable, taquin parfois par-dessus bord et beau-parleur, il aime chambrer et démonter verbalement ses vis-à-vis, dans une ambiance bon enfant. Pépé Epassé n’aime pas le mot soucis. « L’homme ne peut souhaiter avoir des soucis mais les problèmes oui car tout problème est une preuve qui nécessite une capacité de réflexion pour être résolu alors que les soucis nous rendent malade». Père de famille nombreuse, solide comme un tronc d’arbre, il aime entretenir son corps. Son appétit pour l’élégance lui dicte le code vestimentaire quotidien pour mettre son corps en valeur. Costumes, jaquette, cravate à la française ou habits traditionnels avec ou sans couvre-chef à la portonovienne, chaussures toujours cirées, le Septuagénaire ne badine pas avec la sape. Epassé a du goût et sait s’habiller. Même à un kilomètre, toujours tiré à 4 épingles, il est vite repérable sur sa moto. Cela n’est pas étonnant car la machine à coudre, le textile et ses accessoires, il en sait quelques choses pour avoir été couturier et même habilleur-conseils au bon vieux temps. Fidèle Ayikoué, ancien Directeur général de l’Ortb, Alexandre Paraïso, magistrat, ancien président de la Cour suprême, sont quelques noms qui ont bénéficié de l’habileté de ses doigts et ses prouesses de styliste. Outre, la couture, Pep Epassé, l’abréviation de Pépé Epassé, fut aussi quincailleur avant de chuter dans l’entreprenariat des Bâtiments et travaux et publics, les BTP. A gaskiya, d’aucuns diront en français facile que Pépé Epassé est un touche-à-tout, sinon qu’il est pluridisciplinaire.
Pépé Epassé et sa foi en Dieu
S’il y a aussi un domaine où Epassé excelle, c’est bien sûr celui du spirituel. Né dans une famille catholique et devenu lui-même évangéliste, il croit profondément en Dieu. L’inscription « où vas-tu sans Jésus Christ ? Sur la plaque d’immatriculation de sa moto, en dit long. Pépé Epassé partage la parole de Dieu à qui veut l’entendre, il la chante à qui veut la danser et la recommande à qui veut l’appliquer. Les chansons gospels, il les interprète en langue française, en fon, en yoruba, en mina, en évé, en ashanti, en ibo. Epassé baigne dans le spirituel.
Epassé, l’ambianceur
S’il y a une qualité qui caractérise Pépé Epassé, c’est inéluctablement sa capacité à semer l’humour. Avec lui, on ne s’ennuie point. Homme de joie, de gaîté, de rire et même d’ambiance, il vit et propage la bonne humeur. Il a le contact facile et une carte de visite impressionnante. Partout où il passe, il a toujours une anecdote à raconter pour détendre l’atmosphère. Car pour lui le rire est thérapeutique et l’homme doit tout faire pour garder le sourire. La plupart des cas de maladie et de tension qui se compte par milliers dans notre société, est dû à la tristesse et aux soucis, affirmer. Pour vous arracher un sourire, il en a plus d’un tour dans son sac. Quand Epassé vous parle d’atemtal, il fait allusion au beau jeu, ayou man des beaux buts qui font pleurer les filets. Un but « lucarné » est un but en pleine lucarne. Inconditionnel de la viande de lapin et du porc, de la pâte akassa ou sorgho accompagnée de la sauce légume ou sésame, il aime l’ambiance gastronomique où la bière ou le vin coule à flot, quand bien le foot reste son premier passe-temps. Mais dans une journée, Epassé ne passe jamais sans passer par un stade. Demandez aux dieux du foot, ils vous répondront par l’affirmative.
Junior Issa