Dans son discours sur l’état de la nation du 20 décembre 2024, le président Patrice Talon a dressé un portrait quasi paradisiaque du Bénin, avec cependant quelques bémols vite balayés du revers de la main. Sauf que ces bémols sont ce qui fait la réalité de la vie quotidienne des citoyens.
“Alors que le monde s’enfonce globalement dans un cycle d’incertitude et d’instabilité… le Bénin continue sans tapage, d’avancer sur le chemin de son développement et de la consolidation de son unité”. Cette introduction très flatteuse du discours sur l’état de la Nation du chef de l’Etat est suivie de plusieurs déclarations qui feraient rêver même les habitants des pays les plus développés.
La réalité sur le terrain montre effectivement d’importantes réalisations qui forcent l’admiration. Ainsi, Cotonou la capitale économique et plusieurs villes méridionales ont connu de grands changements. Mais pour une grande partie des Béninois, il faut voyager loin avant de voir que leur pays a positivement changé. Dans ce contexte, aucun discours ne peut donc les convaincre de ce que le gouvernement travaille pour eux.
Cela d’autant plus que, comme l’a rapidement souligné le chef de l’État, le coût de la vie frappe durement les citoyens. “La cherté de la vie et le faible pouvoir d’achat du plus grand nombre d’entre nous, demeurent eux aussi pour moi, un point d’insatisfaction et de peine”, a-t-il regretté. Pour “ce plus grand nombre” de Béninois, les préoccupations n’étaient pas les trois repas quotidiens car cela était un acquis. Ces dernières années, syndicats, médias et simples citoyens ont relevé cette difficulté à joindre les deux bouts tout en exhortation le gouvernement à mettre en place des politiques sociales.
Le discours du chef de l’Etat a également omis les tourments dans lesquels se trouve le monde paysan, en fait donc, la majorité de la population. Si le coton est le produit phare du Bénin, une plus grande partie des producteurs et des commerçants vivent grâce à d’autres cultures comme celle du soja et du cajou. Or, avec la politique d’industrialisation, les producteurs ont le sentiment qu’on leur arrache le fruit de leurs efforts pour nourrir les industries. Pour preuve, le cajou qui se vendait jusqu’à 800 francs le kilogramme peine aujourd’hui à atteindre les 400 francs. Quant au soja le gouvernement vient de fixer le prix de cession qui est en baisse par rapport à ce qui était pratiqué il y a quelques années.
De plus, les paysans et les intermédiaires ont l’impression de ne plus avoir leur destin en mains avec les tracasseries administratives imposées pour le transport de leurs produits.
Le chef de l’État gagnerait sans doute à revoir l’ensemble de ces aspects qui, en réalité constituent les critères d’évaluation les plus importants des électeurs.
Réaction de la CSA BÉNIN par l’entremise de son SG, Anselme Coovi AMOUSSOU
Sur le plan des réalisations et de l’autosatisfaction personnelle, le discours de 2024 ne diffère guère des allocutions à la nation des années précédentes. Les progrès économiques, les infrastructures routières, la reconstruction et l’embellissement des marchés, les années académiques sans perturbations, les cantines scolaires et l’accès à l’eau potable ont été présentés comme des avancées significatives pour notre pays. Il existe des chiffres pour en attester et des preuves tangibles sur le terrain. Par conséquent je ne veux pas faire preuve de mauvaise foi en les contestant. Le président a également mentionné les nombreux chantiers en cours, témoignant d’un développement continu. Ces changements significatifs sont indéniables.
Je félicite le chef de l’État et son gouvernement, ainsi que l’ensemble des populations, en particulier les travailleurs, pour ces réalisations. Cependant, il est de mon devoir de souligner les aspects de la gouvernance qui nécessitent moins de triomphalisme et plus d’humilité. La pauvreté a augmenté depuis 2016, comme le montrent les statistiques officielles de l’INSTaD, avec plus de 40 % de la population rurale vivant dans la pauvreté aujourd’hui au Bénin.
En 2024, les tracasseries insupportables pour les producteurs de soja et autres produits agricoles ont érodé leur confiance en l’État pour les soutenir.
La situation de détresse des transporteurs et de leurs familles, causée par la tension avec le Niger, est préoccupante. Ils sont malheureusement abandonnés par le gouvernement, qui ne leur apporte aucune assistance ou soutien. Les réformes structurantes de notre système éducatif restent des promesses à un an de la fin du mandat. Bien que le chef de l’État semble satisfait de la rareté des grèves, son gouvernement peut-il citer un seul résultat concret en matière d’adéquation formation-emploi ? Les trente lycées techniques annoncés sont toujours attendus.
À la place, nous assistons à une élitisation de notre système éducatif, avec un encouragement à la création d’établissements privés coûteux proposant des programmes de formation étrangers. Le pré-scolaire est abandonné, sans personnel, sans recrutement, sans perspective. Qu’en est-il du programme d’enseignement de l’anglais au primaire, abandonné sans motif officiel ?
Il faut rappeler au chef de l’État qu’en 2024, le Bénin s’est illustré par des violences policières et des actes de barbarie à l’encontre de travailleurs manifestants pacifiques. Des responsables syndicaux ont été détenus arbitrairement pendant des heures, et ce bilan méritait de figurer dans l’allocution de l’autorité en termes de mea culpa. En outre, il est impératif de souligner les violations flagrantes des libertés démocratiques qui ont marqué cette année. Les droits fondamentaux à la liberté d’expression et de manifestation ont été bafoués à plusieurs reprises.
Les arrestations arbitraires de citoyens et d’activistes, ainsi que la répression violente des manifestations pacifiques, sont des atteintes graves à la démocratie. Ces actes de répression doivent être fermement condamnés et corrigés pour restaurer la confiance des citoyens dans les institutions de l’État.
Enfin, je dois avouer que tout le contenu du discours a été éclipsé par le passage où le chef de l’État se présente comme un opposant à tout consensus politique et à tout dialogue inclusif. Il a clairement indiqué qu’aucun compromis politique ne serait fait au détriment du développement du pays. Mais est-ce à lui seul de définir le contenu du développement du pays ? Nous savons tous que certains aspects de la réforme du code électoral sont jugés crisogènes, ce qui l’a conduit à accepter, par exemple, l’audit de la liste électorale. Le développement ne passe-t-il pas par l’apaisement social et la paix ? Cette position peut être perçue comme un refus de dialoguer avec l’opposition, ce qui pourrait exacerber les tensions politiques.
Ce passage dans un discours à la nation semble être l’expression d’un état d’âme qui ne tient pas compte des inquiétudes légitimes de nombreux Béninois, qui craignent les conséquences possibles de l’impasse politique actuelle. En conclusion, je dirais que le discours de Patrice Talon est conventionnel. Il a mis en lumière les succès de son administration tout en reconnaissant les défis persistants. Bien que des progrès notables aient été réalisés, notamment en matière d’infrastructures et de sécurité, des efforts supplémentaires sont nécessaires pour améliorer le pouvoir d’achat et renforcer le dialogue politique. Le refus de Patrice Talon de favoriser un consensus politique en vue des élections de 2026 est une position controversée qui pourrait avoir des répercussions significatives sur la stabilité politique et sociale du Bénin. Un dialogue inclusif et des réformes électorales consensuelles sont essentiels pour garantir des élections pacifiques et renforcer la démocratie.
Pierre MATCHOUDO