« Pardonner est parfois une faute », aurait déclaré le président Patrice Talon en réponse à la demande de grâce formulée par le parti Les Démocrates lors d’une audience au palais de la Marina ce lundi 27 novembre 2023. Pourtant, l’histoire récente du Bénin est faite de « pardons » accordés à des acteurs politiques clés.
Arrivés au palais sur invitation du président de la République, l’ancien chef de l’Etat Yayi Boni aujourd’hui chef de l’opposition et les membres de son parti ont échangé quatre heures durant sur les questions qui préoccupent le parti Les Démocrates (LD). Au nombre de ceux-ci figurent la libération des détenus politiques, notamment Reckya Madougou et Joël Aïvo. Alors qu’un projet de loi d’amnistie est en programme à l’Assemblée nationale, ils ont plaidé pour une grâce présidentielle, ce qui avait l’avantage d’être immédiat. En réponse, Patrice Talon a tout simplement écarté cette possibilité. Le marchandage du chef des LD, qui a demandé pardon, n’y fit rien.
Sans doute le président Talon veut éviter l’impunité, à supposer que les prisonniers et les exilés ont réellement commis les fautes pour lesquels ils subissent les situations qui sont présentement les leurs. Par cette posture, le chef de l’Etat semble être en rupture avec la pratique tout au long de ces trois dernières décennies au Bénin où la notion de pardon et de grâce a permis à la démocratie de prendre de l’essor et de s’enraciner.
Le dernier cas de « pardon » dont se souviennent les Béninois est celui dont Patrice Talon a lui-même bénéficié. Dans un dossier très controversé, ce dernier avait dû s’exiler pour échapper à la furie de son ami et allié Yayi Boni, alors président de la République. Mais à quelques mois de l’élection présidentielle de 2016, Yayi Boni avait annoncé qu’il pardonnait à Talon et que celui-ci pouvait revenir au Bénin sans rien craindre. La suite, c’est qu’il a remporté le scrutin et est, depuis, au pouvoir.
La réinstauration de la démocratie en 1990 n’aurait pas été possible sans le « pardon » accordé au général Mathieu Kérékou et aux caciques du régime de la Révolution d’alors. A l’ouverture de la Conférence nationale, les délégués ont adopté une disposition conférant au président Kérékou l’immunité totale face aux fautes et aux crimes éventuels commis durant ses 17 ans au pouvoir. Cette initiative a rassuré le régime d’alors et a rassuré le Général qui, en retour, s’est engagé à mettre en œuvre, « sans réserve », toutes les conclusions de la Conférence.
Mais avant cela, en 1989 lorsque le régime était en agonie, le chef de l’Etat avait amnistié tous les nombreux « contre-révolutionnaires alors appelés « valets locaux de l’impérialisme ». Les plus connus étaient Me Adrien Houngbédji et Emile Derlin Zinsou qui fut président de la République en 1969. A l’époque, une peine de mort pesait comme une épée de Damoclès sur Me Houngbédji. Quant à Zinsou, il avait été condamné deux fois à la peine capitale.
Dans le même temps, les prisons de la Révolution qui étaient remplis de communistes et autres, ont ouvert leurs portes, décrispant pour de bon la mauvaise ambiance qui régnait dans le pays. Plus tard, la plupart de ces acteurs politiques ont occupé de hautes fonctions sous le même Kérékou qui les avait faits condamnés.
Faut-il toujours faire table rase du passé en politique ? Si la question mérite débats, il est à constater qu’au Bénin, cela a grandement contribué à l’enracinement de la démocratie.
Pierre MATCHOUDO