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De la presse privée aux partis politiques : L’effet dévastateur de l’argent public

L’aide de l’Etat a détruit la presse privée. Détruira-t-elle aussi les partis politiques ?

1997, c’était la belle époque. L’Etat venait de débloquer 300 millions pour appuyer la presse privée. C’est une évidence de dire que cette aide fut bénéfique pour les quelques entreprises de presse qui existaient et aussi pour la poignée de journalistes qui animaient le secteur. Des journaux avaient reçu plus de 20 millions de francs. Une somme qui, dans l’absolu, avaient suscité bien des idées de la part de personnes anonymes qui n’ont pas tardé à se lancer dans la création d’entreprises de presse. En réalité, pour un quotidien sérieux de l’époque, cette somme constitue à peine un ou deux mois de fonctionnement. Dans l’opinion publique, beaucoup avaient cru que c’est de l’argent dont le promoteur pouvait disposer à sa guise. Il est vrai qu’il reste à voir si un audit sérieux de l’utilisation de ce volet de l’aide a été fait entretemps.

Près d’une quarantaine de journalistes et de reporters d’images avait été sélectionnées pour séjourner à Dakar au Sénégal pour un mois et demi, dans un hôtel de luxe, pour un stage de renforcement des capacités dans une école privée. Certains se sont constitués une petite réserve financière appréciable dans un environnement où la presse n’avait pas encore été pourrie par l’argent sale pendant que d’autres se sont livrés aux plaisirs divers. Mais, dans tous les cas, il n’est pas certain que l’écho de ce tourisme pédagogique ait été bénéfique pour la profession.

Deux décennies plus tard, de nombreux acteurs des médias commencent à douter de l’existence de l’aide de l’Etat à la presse privée, non pas parce qu’elle n’est plus régulièrement débloquée mais surtout parce que les parts revenant aux entreprises de presse sont réduites comme peau de chagrin. Il y a aujourd’hui des journaux qui reçoivent moins que ce qu’il leur faut pour une seule édition. Les bénéfices de cette aide sont tels que certains acteurs se demandent si elle existe encore. Alors qu’entretemps elle est passée à 350 millions de francs.

Mais surtout l’aide de l’Etat a eu un effet dévastateur sur la crédibilité de la presse privée béninoise. Le nombre de publications a augmenté de façon exponentielle tandis qu’au même moment, la qualité des productions baissait. Véritable mirage, l’aide ne permettait plus aux médias de joindre les deux bouts. Du coup, la plupart des acteurs n’hésitaient pas à pactiser avec les puissances financières quitte à sacrifier l’éthique et la déontologie.

Dans un pays où la plus grande partie de la population vit dans une grande pauvreté, annoncer le déblocage de l’argent au profit d’un groupe social ou d’une corporation fait plus de mal que de bien à cause de l’effet boule de neige que cela entraîne. Le financement des partis politiques produira-t-il le même effet ? La question reste posée. Mais déjà, il est à constater que des voix s’élèvent pour réclamer le même geste en faveur d’autres secteurs contribuant à l’animation politique et sociale dans le pays.

Pour rappel, le  parlement a adopté, le 15 novembre 2019, une loi en vertu de laquelle désormais l’Etat a l’obligation de financer les partis politiques de tous bords pourvu qu’ils aient une existence légale. En application de cette loi, le gouvernement a autorisé le déblocage de 1,5 milliard de francs au profit de la poignée de partis politiques régulièrement reconnus par le Ministère de l’Intérieur et ayant rempli les critères de performance exigés par la loi. Cette somme constitue une manne pour ces formations politiques, car si les critères légaux de répartition sont bien respectés, elles ne seront que trois à se la partager.

Bien évidemment, cette nouvelle générosité de l’Etat ne manquera pas de susciter des envies. D’abord, de la part des partis légalement reconnus mais qui n’ont pas pu obtenir ni sièges au parlement ni mairies à l’issue des dernières élections. Pour prendre part au festin, de nouveaux acteurs ne manqueront pas de surgir en dépit des obstacles à franchir pour obtenir la fameuse reconnaissance par le ministère de l’Intérieur. A terme, ils risquent d’être si nombreux à se partager le milliard et demi que chacun n’en aura qu’une portion congrue, comme c’est aujourd’hui le cas pour l’aide de l’Etat à la presse privée.

Pierre MATCHOUDO

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