Le Général. A l’Etat civil François Kouyami. Né à Cotonou de l’union d’un père Nago, ethnie généralement originaire de Porto-Novo et d’une mère, Mina, native du Mono-Couffo, le Général ne parle ni la langue de l’un ni celle de l’autre. Toute chose qu’il regrette. Il grandit à Cotonou, fit son cursus scolaire et même les débuts de sa formation.
Junior Issa
Teint légèrement bronzé, cheveux et moustache blanchis par le poids de l’âge, le visage ridé, le Général a déjà compté ses 78 ans d’existence sur la planète terre avec la précision qu’il n’est pas né « vers » mais plutôt « le ». Les yeux vifs, bonne charpente corporelle, au visage d’ange reflétant un homme au caractère où se mêlent douceur et rigueur, le Général Kouyami est un bel homme dont on peut imaginer la carrure juvénile.
S’appuyant sur une canne afin d’équilibrer sa marche désormais lente, il aime se raser la barbe laissant admirer une mouche blanchâtre bien taillée. Des taches noirâtres causées par la réverbération du soleil marquaient une partie de son visage. La voix roque, les épaules larges, les mains tremblotant surtout quand il gesticule, portent des entailles profondes, ses paumes et ses doigts secs, les sillons de l’homme du 3ème âge. « Mes cellules sont arrivées à leur apogée », dit-il avec humour.
En vérité, tout en lui est vieux, sauf son cerveau, son regard et ses yeux, bordés de cils toujours gais et braves, et tout ceci dans un esprit tenace capable de vous ressusciter des faits marquants sa vie ou celles des institutions qu’il a connues et même de la révolution à la démocratie. Le Général a de la mémoire. Pour paraphraser l’écrivain guinéen Camara Laye, le Général est une bibliothèque vivante. Une bibliothèque qui se met régulièrement à jour au moyen des réseaux sociaux notamment le plus utilisé au Bénin, whatsapp. « Si tu n’as pas ça, tu n’es pas actuel », reconnait-il.
Grand de taille presque 2 mètres, il l’est aussi par son parcours intellectuel, que dis-je, son parcours dans la hiérarchie militaire et politique. Muni d’une bourse de formation en médecine au Sénégal, il ne fera jamais le voyage puisqu’à un mois du départ, un beau-frère proposa à son père de le laisser entrer dans l’armée. « Bientôt c’est les militaires qui vont diriger ce pays. Laisse tes camarades partir en formation. A leur retour, c’est toi qui va les commander», a-t-il argumenté.
Un grand sportif mais aussi de l’armée
Grand officier, le Général fit sa formation militaire à Bembèrèkè puis en France. Il fut le tout premier militaire béninois formé en tant que Chef de guerre. Ce qui lui vaut un respect absolu au Bénin si non que son nom fait souvent frémir dans la sphère politico-militaire. Au soir du coup d’Etat du 26 octobre 72, ce grand admirateur du Colonel Alley, est nommé Directeur de la sûreté nationale. En 1975, sollicité par le Général Kérékou qu’il lui voue une véritable admiration, il fut nommé ministre de la fonction publique puis 6 mois après, celui de la jeunesse, de la culture populaire et des sports. Une ascension plus que fulgurante pour le deuxième plus jeune ministre du gouvernement révolutionnaire d’alors. Ce passage m’a permis de faire la promotion de la jeunesse, lâche-t-il. Il en cite pas des moindre, Mansourou Arèmou, actuel président de la confédération africaine de handball, Julien Minavoa président du Comité national olympique et sportif béninois mais aussi la gente féminine.
Franc, authentique, sincère et parfois rebelle, il dit les choses telles qu’il les ressent. En 1976, il n’a jamais digéré la décision du régime révolutionnaire d’alors de bannir le sport d’élite en faveur de la pratique du sport de masse. Indiscipliné comme il se définie parfois, il n’a pas gobé cette décision militaro-marxiste et refusait même de l’appliquer. Triste. C’est par ce mot qu’il qualifie cette décision qui a coupé court à la pratique du sport d’élite. C’est le même mot qu’il choisit pour apprécier l’environnement footballistique d’aujourd’hui où les terrains sont dégarnis de public à l’occasion des matches de championnat et où l’argent et la cupidité ont remplacé la recherche de l’excellence, du talent et de la promotion des jeunes. La vraie. En notre temps, on avait nos Ronaldo, citant en exemple Do Rego Sadou, ancien joueur des Dragons de l’Ouémé.
Son plus beau souvenir, il le tient dans ce sport roi. C’était lors d’un tournoi du Conseil de l’entente, grande institution régionale d’alors en Afrique de l’ouest. En dépit de la 5ème place, le Bénin avait émerveillé plus d’un, même le président Félix Houphouet-Boigny qui ne s’est pas empêché de récompenser personnellement les joueurs béninois. On était en octobre 1979. Outre Do Régo Sadou, il y avait entre autres Ali Kpara Ludovic, David Feliho, Foly Damien, Herman Gbogbodada, Adolphe Ogouyon. « On avait donné un visage du sport béninois », se souvient le Général.
Le patriotisme, leitmotiv du Général Kouyami
Célébrissime de la gendarmerie, éminente personnalité de l’armée béninoise pendant la période révolutionnaire 1972-1990 voire au-delà, le Général a gravi tous les échelons de la vie professionnelle et militaire. Après ses années d’ancien sportif pratiquant, basketteur, handballeur, ministre, le Général a passé 8 ans à la tête de la fédération béninois de taekwondo. Son parcours, il le qualifie « d’assez enrichissant».
D’une allure habituellement calme, mesurée, celui qui n’est jamais assis à l’arrière de son véhicule pour qu’un chauffeur le conduise, est un homme méticuleux, attentionné dégageant une personne hors du commun. Il aime le travail et surtout le travail bien fait. Avec lui, chaque chose en son temps, son jour et son heure. Difficile d’intervertir l’ordre car l’homme est un homme ordonné. Ordonné comme une tenue militaire.
La richesse d’ici-bas, il n’en a cure mais le Général est un homme ambitieux pour la nation béninoise. Cette notion de la nation est une partie intégrante de sa vie et il ne manque pas de stigmatiser le manque de patriotisme qui caractérise de nos jours la plupart des concitoyens.
Regard du Général sur les 60 ans du sport béninois
Comment le Général qualifie-t-il le bilan des 60 ans du Bénin au plan sportif ? Peux mieux faire. Si on était vraiment patriote, on ferait mieux, regrette-t-il tout en critiquant l’inorganisation ou l’indifférence actuellement accordée à la coupe de l’indépendance, une coupe qui avait son pesant d’or lors de la période révolutionnaire. Mais le Général salue, la place des quarts de finaliste occupée par le Bénin à la Can Egypte 2019.
Le football, il l’aime mais cela dépend. Invité à prendre la tête de la fédération béninoise de football pour, dit-on arrêter la pagaille et y mettre de l’ordre, il déclina l’offre, préférant plutôt la fédération de taekwondo, même s’il affirma quelques années plus tard « qu’au taekwondo, ils sont pires qu’au football ». Mais, comparativement aux autres disciplines sportives, les arts martiaux sont avant tout spirituels, affirme le Général et c’est parce que les hommes enfreignent aux règles de cet art martial qu’ils subissent certaines punitions divines. Son séjour à la fédération de taekwondo, il la qualifie « d’expérience unique. Des souvenirs, il en garde des bons et des mauvais». Mais grâce à ses expériences, ses capacités et surtout son état d’homme très spirituel, il s’en est sorti indemne.
« Général quelle est la place du spirituel dans votre vie ? ». A cette question, il répondra que c’est son point sensible. Le spirituel est au centre de toutes mes actions car les entités invisibles sont toujours autour de nous. « Même avant de rentrer chez vous, j’ai déjà prié ». Pratiquant autrefois des religions traditionnelles, il connut également l’islam, le protestantisme et pratiqua les célestes avant de revenir à la source. « Si tu ne sais pas dans quoi tu es né, tu ne peux pas aller dans autre chose », « connais-toi, toi-même », maxime chère à Socrate, le philosophe mais aussi au Général. Les pratiques occultes même dans le sport, il ne les fustige point car, « ça a toujours existé dans le football » mais il faut le faire de manière plus discrète, conseille-t-il.
Kouyami, une retraite paisible…….
Retraité depuis 15 ans, il prit la pose et se repose et se qualifie de « diplômé sans emploi », toujours avec une bonne dose d’humour.
Le Général n’a plus ses galons encore moins sa tenue militaire mais il reste un Général sauf qu’il arbore désormais les grands boubous manche longue ou manche courte, bien brodés, de tradition Yoruba, qui le replongent dans ses origines Nago. Ce qu’il baptise de retour à la source et de refus d’une seconde colonisation. Allusion faite à la langue française, la seule langue qu’il parle couramment. « Ça m’énerve de ne pas parler Nago et Mina ». Pas besoin de consulter l’oracle, l’amertume est grande et l’expression est illustrative.
Comme tout homme, le Général ne manque pas de défaut. On le dit très rigoureux, même trop rigoureux, on le dit peu souriant. D’autres pensent qu’il est autoritaire. Pas étonnant pour un officier de la gendarmerie. Ceci n’est pas sans lui créer des inimitiés ou plutôt des détracteurs surtout dans le monde sportif. Mais derrière cette rigueur se cache un homme, susceptible d’user de petites blagues pour détendre l’atmosphère parfois à un degré insoupçonné. La vie, elle est merveilleuse et tout le monde l’aime. Le Général n’en est pas une exception. Mais au soir de ces 78 printemps, il est gastronomiquement sous régime. Il sait nourrir modérément ses envies tout en préservant sa vie. Pas d’alcool, ni café, ni sucre et moins le sel. Mais le Général aime la musique. Pas n’importe laquelle, le makossa, le gospel en langue yoruba et Ibo mais surtout la musique Zulu, made in South Africa. Un pas de danse avec Nelson Mandela ne ferait que du bien. Hélas…