Comme pour dire son exaspération face aux nombreux conflits domaniaux qui encombrent ses bureaux, le tribunal de première instance d’Abomey Calavi a tapé du poing sur la table en envoyant purement et simplement une dizaine de géomètres derrière les barreaux. La scène s’est produite dans l’arrondissement de Togba. Ceux-ci étaient poursuivis par le procureur pour usurpation de titre, plus précisément, il leur est reproché d’avoir procédé à des mutations de noms sur des parcelles sans en avoir la qualité. En effet, de mémoire, c’est une première dans l’histoire récente de notre pays.
Pierre Matchoudo
Abomey Calavi, Sèmè et bien d’autres localités sont réputés pour être le siège de mafias foncières dans lesquelles sont parfois impliqués des acteurs a priori insoupçonnables. Ainsi, acheter un espace dans ces localités, c’est prendre le risque de se retrouver devant les tribunaux pour des litiges qui n’en finissent pas ou qui se terminent dans la tragédie. La source de conflits la plus fréquente est la vente multiple d’un même terrain à plusieurs personnes de même que l’exigence par les héritiers que des contrats de vente, parfois conclus depuis des décennies soient revus sous le prétexte qu’ils n’avaient pas été consultés ou que leurs parents avaient sous-estimé la valeur du foncier. A ceci s’ajoutent toutes sortes de subterfuges pour instaurer de faux frais au détriment des acquéreurs ainsi que des actes de corruption préjudiciable à l’Etat.
Mais, au-delà de ces raisons évidentes, c’est l’appétit vorace des Béninois pour le foncier qui explique en grande partie le développement de cette mafia malgré de multiples réformes engagées pour sécuriser le foncier. En effet, ne dit-on pas que chaque Béninois rêve de posséder son propre lopin de terre pour y ériger un jour sa propre maison ? En effet, l’un des tout premiers projets du Béninois ordinaire est d’économiser une partie de son revenu pour s’acheter un terrain pour se construire sa propre maison un hypothétique jour. Pour cela, il est prêt à toutes les privations et à tous les risques liés à l’insécurité foncière. Pendant ce temps, il vit mal et soumet toute sa famille à un mal-vivre qui n’en finit pas. Certains sont prêts, pour accomplir leur rêve, à acheter des espaces même dans les zones impropres à l’habitation. D’autres se construisent des habitations d’une autre époque, sans commodités modernes, sans infrastructures adéquates. Les moins chanceux ne terminent leur maison qu’à l’orée de la vieillesse et se contentent seulement d’avoir accompli quelque chose à passer en héritage à leurs enfants. Et tout ceci se fait dans un chaos qui fait de nos villes des espaces dénués de toute esthétique.
Cette obsession et le mal-être qu’elle entraîne s’expliquent par une absence de politiques de logement adaptée aux besoins d’un pays comme le Bénin. Disons-le d’emblée : chaque Béninois ne devrait pas avoir sa maison à lui. Selon les projections, la population du Bénin tournera autour de 15 millions en l’an 2030. Si chacun devrait construire sa propre maison, on risquerait de manquer d’espace. Or, le territoire national n’est pas extensible. Nous n’avons que 114 763km2 sur lesquels nous construisons, faisons l’agriculture, les routes, les infrastructures sociaux communautaires…
Il est donc impérieux de mettre en place des politique de logement qui concourent à la réduction de l’espace constructible. En d’autres termes, il faut construire en hauteur. Ce mode d’habitat comporte bien des avantages, comme la réduction des coûts d’érection d’ouvrages d’assainissement et de réalisation d’infrastructures sociaux communautaires.
Certes, les bonnes gens ont toujours chanté que le Béninois n’aime pas vivre dans des bâtiments en hauteur, qu’il préfère sa propre maison. Elles ajoutent aussi qu’avec les coupures de courant électrique, c’est un risque de vivre dans des buildings élevés. Mais, le fait est qu’on n’a jamais proposé autre chose. Les meilleurs projets immobiliers réalisés, ce sont des logements dits sociaux en forme de maisons individuelles qui parfois ont plutôt l’air de poulaillers.
Il est donc important que de nouvelles politiques soient mises en œuvre pour enfin permettre aux Béninois de vivre décemment et de profiter enfin d’espaces assainis et esthétiques. De telles politiques ne peuvent être mises en œuvre que par des promoteurs immobiliers, qu’ils soient publics ou privés.