Les confessions religieuses, les ONG Fondations et autres associations à but non lucratif ont encore deux mois pour disposer d’une comptabilité en bonne et due forme. C’est en effet ce qu’exige le nouvel acte uniforme relatif au système comptable des entités à but non lucratif (SYSCEBNL). L’acte adopté en décembre 2022 à Niamey au Niger au cours de la 53e session du Conseil des ministres de l’organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires. Une organisation africaine qui regroupe 17 Etats du continent dont le Bénin. Alors que le 1er janvier 2024, date d’entrée en vigueur de cette nouvelle mesure, s’approche, le sujet fait débat.
Dans la rue, les citoyens y voient une invention des gouvernants. « Cette affaire de comptabilité sort d’où encore ? » s’interroge Dona, conducteur de taxi moto avant de s’empresser de répondre lui-même : « Obliger les églises, mosquées à avoir de comptable ? Je ne comprends toujours pas ». A côté de lui, un autre va ajouter : « Je crois que c’est pour décourager les églises qui s’ouvrent un peu partout. Mais je vois que les fidèles vont être obligés de donner plus de quête » estime-t-il. Si les citoyens pensent que la décision de l’OHADA ressemble à une chasse aux sorcières, les spécialistes en gestion des organisations et gestion comptabilité estiment le contraire. C’est le cas du coordonnateur de Secours philanthropique, Cleophas Oké Gbédji. Consultant en développement organisationnel, il est expert en système de management anticorruption norme ISO 37001. « Il est vrai que toutes les ONG n’ont pas cette habitude parce que le financement est rare et qu’on n’a pas toujours le personnel adéquat pour enregistrer toutes les dépenses quel que soit le niveau de l’organisation. Il est nécessaire donc d’enregistrer toutes les dépenses de pouvoir faire un bilan, soumettre la comptabilité au contrôle des commissaires aux comptes et puis également faire certifier le compte par un expert-comptable, ça relève des normes de la bonne organisation des structures elles-mêmes. Et cela vaut pour les églises et mosquées qui dans la législation béninoise sont considérées comme des ONG » explique le coordonnateur de Secours philanthropique, une ONG intervenant dans le domaine social.
Le contexte de la décision de l’OHADA
Le responsable du département comptabilité finance à l’École Nationale d’économie appliquée et de management (Eneam), Maître assistant en sciences de gestion de l’université d’Abomey Calavi, Crescent Mebounou, diplômé d’expertise comptable situe. « L’article 1er de l’acte uniforme relatif au droit comptable et à l’information financière fait obligation à toute entité d’un des Etats membres, de mettre en place une comptabilité financière. L’organisation et la tenue de cette comptabilité sont basées sur un référentiel composé du droit comptable et d’un système comptable. En dehors du SYSCO-OHADA applicable par les entités abus lucratifs, l’article 5 du droit comptable distingue six (06) secteurs d’activités et dispose d’un système comptable propre ou spécifique. Il s’agit des établissements de crédits, c’est-à-dire les banques, les microfinances, les acteurs de marché financier, les sociétés d’assurances et de réassurances, les organismes de sécurité et de prévoyance sociale et enfin les entités abus non lucratifs. Cependant cette dernière catégorie d’entité qui comprend les associations, les organisations non gouvernementales, les partis politiques, les églises, les fondations, les mosquées et assimilés ne disposaient pas d’un système comptable jusqu’à une date récente » renseigne le Maître assistant.
Dans un tel contexte de vide règlementaire, certaines de ces entités se forçaient à tenir une comptabilité sur la base du SYSCO-OHADA et d’autres n’en avaient même pas. C’est la correction qui a été faite lors de la 53è session du Conseil des ministres de l’OHADA pour adopter le système comptable des entités abus non lucratifs le 22 Décembre 2022 à Niamey. « En conséquence, les entités à but non lucratif qui tenaient leurs comptabilités conformément aux référentiels des entités à but lucratif sont désormais astreintes de se conformer ou d’appliquer le nouveau référentiel. Celles qui n’avaient pas du tout de comptabilité ont l’obligation de mettre en place cette comptabilité suivant ce référentiel » précise Crescent Mebounou.
Il en a profité pour éclairer la lanterne sur l’importance d’une comptabilité. « La comptabilité, c’est un système qui permet à une entité une société d’organiser de façon chiffrée toutes les informations financières. C’est-à-dire en terme monétaire, ce qui est lié à ses transactions ou à ses activités. Donc ici, il s’agit en fait de recenser toutes les conséquences monétaires que nous observons sur les flux ou les activités que nous menons ou des relations que nous avons avec les différentes parties qui interviennent dans notre activité. Et au cours d’une période on va enregistrer périodiquement ou au jour le jour ces différentes transactions et à la fin de la période on doit pouvoir faire le point de toutes les ressources qui sont engrangées et des utilisations qui en ont été faites » enseigne le responsable du département comptabilité et finance de L’École Nationale d’administration et d’économie appliquée (Eneam).
Mise en place, elle permet au propriétaire de l’entité et à d’autres parties prenantes, les banques par exemple d’avoir une idée claire du patrimoine de l’entité c’est-à-dire ses biens et ses dettes. Venant dans le cas particulier d’une église ou d’une mosquée, « Il y a des dons, il y a des quêtes qui sont collectées donc ça fait des ressources obtenues et elles sont utilisées pour réaliser des dépenses qui permettent à l’entité de fonctionner » explique-t-il.
Quid des accusations de voyeurisme ?
Pour nombre de personnes, peu avisées de la chose comptable, la décision prise au Niger en décembre 2022 frise du voyeurisme. « Il faut que les dirigeants s’occupent de leurs affaires et laissent les religions. On ne contrôle par Dieu. Pourquoi, ils veulent savoir ce que les églises et mosquées dépenses » s’offusque un citoyen. « Je ne comprends les pas. Ils cherchent quoi au juste. En tout cas pour moi, l’Etat veut percevoir les imports chez les églises et mosquées » renchérit un autre. Faux, indique Cleophas Oké Gbédji. L’expert en système de management anticorruption norme ISO 37001 pense qu’ils font un procès en sorcellerie. « En soi, la décision est bonne puisque toute organisation doit normalement contrôler sa gestion et ça fait le suivi de la gestion, de la comptabilité, de toutes organisations fait partie des bonnes pratiques de management des organisations » corrige-t-il.
Dans le code des impôts ces certaines entités sont exonérées d’un certains nombres d’impôts. « L’objectif ici n’est pas de faire une comptabilité et d’être systématiquement imposé par l’Etat. Non! A moins que ces entités se lancent dans des activités génératrices de revenus » fait savoir l’enseignant de l’université d’Abomey Calavi. « C’est à leur avantage car elles auront de la traçabilité et pourront utiliser ces informations pour mobiliser des ressources sous forme d’emprunt auprès des institutions financières ou sous la forme de subvention auprès de différents partenaires ».
En tout cas, les églises, mosquées, fondations et autres entités assimilées à but non lucratif ont jusqu’au 1er janvier 2024 pour s’ajuster.
Arnaud ACAKPO (Coll)