Bien qu’il soit intégré dans les habitudes en Occident, le commerce en ligne est une petite nouveauté vue des tropiques. Grâce aux investissements publics dans le développement des infrastructures ces dernières années, une révolution numérique (développement d’applications et services dématérialisés) s’opère avec ses corollaires. Le « commerce en ligne » fleurit. Tout autant que des victimes se comptent par milliers.
Apparu au début des années 90 aux Etats unis, le e-commerce est devenu un élément incontournable dans le monde. La terminologie est utilisée à tort aujourd’hui au Bénin pour désigner toute sorte de transactions financières en ligne.
Après plusieurs semaines d’intenses négociations Bob (nom d’emprunt) a accepté de rendre son témoignage. Fougueux, ambitieux, ce trentenaire endurci se demande encore comment il a pu se faire avoir. Lui si prévoyant et méthodique. Il a la répartie « ductile » et la remise en cause « permanente » confit-il. Mais ce soir d’août 2019, tout est allé très vite. « Un de mes amis est venu me voir pour me parler d’une plateforme de placement d’argent en ligne » Du trading ? Non ! Rétorque-t-il sans commune mesure, avant de poursuivre. « Il m’a fait savoir que la plateforme génère des revenus journaliers après placement. Au début, je doutais fortement mais j’ai fini par être convaincu au regard de son expérience à lui. J’avais des preuves qu’il en tirait grand profit » Bob croit ainsi mettre la main sur le jackpot.
« Le placement se fait en dollars. Pour commencer, j’ai misé 150 dollars. Au bout de quelques jours, j’ai récupéré mes avoirs et le reste n’était que des bénéfices. J’ai alors décidé de miser plus gros. Mais mal m’en a pris » La décision fut rapide et le choc brutal. Bob en a toujours toutes les séquences du film dans sa tête. « J’ai décidé de miser 1500 dollars. A ce moment avec les fluctuations du dollar, ça tournait autour de 900. 000FCFA. J’avais déjà tracé tous les investissements que j’aurais à faire avec les gains. Mais au bout de 72h après ce placement, la plateforme a commencé par bugger. J’ai cru à une panne du système. Mais c’est comme cela mes sous se sont volatilisés ».
Sans interlocuteur, outre son ami, qui, lui aussi a perdu des milliers de dollars, Bob a compris qu’il venait de tomber dans un traquenard numérique sans issue. Trois années se sont écoulées depuis, c’est pour la toute première fois Bob en parle. Tant il a de l’amertume et de la rancœur envers lui-même. « Avec du recul, je me dis que j’ai été naïf et imprudent. Je n’en ai parlé à personne, même pas à son épouse ». Des désabusés du placement en ligne, il en existe par milliers, anonyme ou non. Ces dernières années, avec la prolifération des réseaux sociaux et la démocratisation d’Internet, plusieurs plateformes supposées de e-commerce ont émergé au Bénin avec leur lot de désillusions.
En octobre 2020, des responsables de “High life” et “Chymall” deux plateformes de placement d’argent en ligne étaient devant la Brigade Économique et Financière (BEF) pour répondre de l’intervention de la mise en place de leur réseau de e-commerce au Bénin. Les deux plateformes sont poursuivies pour escroquerie via Internet, fraude fiscale, transport des contrebandes sans déclaration des produits et blanchiment de capitaux. Présentés au procureur spécial de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET), les responsables ont été déposés en prison.
De quoi rendre encore plus dubitatives des populations dans la tourmente de nombres d’affaires d’escroqueries financières.
Des législations existent en la matière au Bénin, mais les plateformes de « e-commerce » pullulent au nez et à la barbe des autorités. « Pourtant le code du numérique voté le 13 juin 2017 par l’assemblée nationale et promulgué le 20 avril 2018 réglemente tout ceci, de sorte à réguler ce qui se passe sur internet » analyse Maurice THANTAN, Journaliste web et responsable des contenus digitaux à l’office de radiodiffusion et télévision du Bénin.
Mais la configuration est telle que plusieurs jeunes étudiants rencontrés à l’université d’Abomey-Calvi sont persuadés de pouvoir gagner leur vie en faisant du placement d’argent en ligne, qu’ils appellent « e-commerce ». C’est le cas de Didier, étudiant en troisième année de science économique et de gestion. Sur son smartphone à l’écran moyennement brisé, il nous montre certaines applications : « Ceci par exemple, bientôt cela va me générer 50 dollars par jour. Et au fur et à mesure que je vais monter en grade, mes revenus aussi augmenter » commente-t-il sourire aux lèvres, persuadé de son affaire. La manœuvre a tout l’air de l’arnaque que dénonce Bob. Mais Didier n’a d’yeux que pour ce qu’il appelle une opportunité. « Je pourrai grâce à cela m’acheter un iPhone bientôt » dit-il en pouffant de rires.
Des “succès stories“.
Dans l’environnement numérique assez mosaïque du Bénin, de belles histoires se racontent comme celle de Junior NATABOU. Ce jeune béninois né en 2003, n’était encore qu’un adolescent quand il est apparu aux yeux de l’opinion comme un entrepreneur à succès. Autodidacte, il a réussi à faire fortune dans le marketing digital et le « commerce en ligne ». Ses revenus sont estimés en millions d’euros. Reçu par le président Patrice Talon dans un autre contexte qui n’a cependant rien à voir avec ses activités, les rapprochements ont tôt fait de prévaloir.
Il est considéré comme un as du Web. Junior NATABOU est même apparu dans le célèbre magazine américain Forbes. Sur les réseaux sociaux, il publie à longueur de journée des images de lui dans un luxe insolent : bolides, tenues prestigieuses, appartements luxuriants, il apparaît aux yeux de tous comme un véritable pacha, s’offrant par ci des voyages incessants à Dubaï ou par là des chutes de cascade dans des virées exotiques.
Son train de vie interpelle et son sourire puéril cache à peine son âge. A moins de 20 ans, Junior NATABOU est une petite célébrité au Bénin. Sur sa page Facebook aux près de 80.000 abonnés, la plupart jeunes, les internautes ne cessent de lui adresser des questions liées à ses activités. Le jeune millionnaire, fort de son aura, organise même des séances de formation payantes. Pas moins de 100. 000 francs pour donner les clés basiques du e-commerce à ses interlocuteurs. Il a même étendu ses tentacules dans le showbiz en créant une maison de production au sein de laquelle le célèbre rappeur béninois Mr Blaaz s’épanouit pleinement.
Le titre de l’une de ses dernières sorties musicales fait si bien l’apologie des activités de son nouveau mentor. Avec “Bitcoin” Mr Blaaz valide son statut d’entrepreneur Web. Sur ses canaux digitaux, lui aussi ventile les avantages du « e-commerce ». Une bonne pioche pour Junior NATABOU dont l’image, certes écornée par des accusations d’escroqueries est toujours si adulée. « Je trouve tout ça assez flou » commente Bob qui fait part de nombre de doutes.
Le défi d’accès à internet
Dans un pays où le taux de pénétration d’Internet mobile est en hausse, 35% selon les dernières statistiques de l’autorité de régulation des communications électroniques et de la poste (ARCEP), l’accès au web pour tous reste un défi à relever par les pouvoirs publics. Au Bénin, plus d’une personne sur deux n’a pas accès aux services en ligne. Depuis 2016, l’exécutif s’est lancé dans un ambitieux programme de maillage du territoire en fibre optique avec, en plus, la construction d’un data center (centre de données) national, le premier du pays, le développement de nouvelles technologies comme la blockchain, l’intelligence artificielle, etc. C’est dire qu’une partie du pays ignore encore le business florissant de ce troisième millénaire : l’entrepreneuriat Web dont le « e-commerce » constitue une branche. Si comme Bob, certains ont juré de ne plus faire confiance aux opportunités d’Internet, d’autres continuent de flairer la bonne affaire et d’y croire dur comme fer.
Herman Rodrigue AMEGAN