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Chefferie Traditionnelle : Et si la loi permettait au royaume de Saxè de renaître ?

Alors que le Bénin s’engage dans une réforme majeure de la chefferie traditionnelle, une question cruciale se pose : tous les royaumes historiques seront-ils pris en compte ? Comlan Pacôme Allomakpé, juriste et gestionnaire du patrimoine culturel, plaide pour une reconnaissance équitable du passé royal du pays. À travers l’exemple du royaume de Saxè, conquis au XVIIIᵉ siècle mais dont les traces demeurent, il souligne l’importance de préserver l’histoire et d’en faire un levier de développement. Une réflexion essentielle à l’heure où le patrimoine devient un enjeu stratégique pour l’identité nationale et l’attractivité culturelle du Bénin.

« Il ne s’agit pas qu’un royaume en conquiert un autre pour qu’il disparaisse »

Je suis très heureux d’apprendre la poursuite de la manifestation de la volonté politique en faveur de la promotion et de la valorisation du patrimoine culturel béninois. Vous savez, lorsqu’on fait un bilan à mi-parcours de la gouvernance de l’actuel président de la République, les acteurs du patrimoine constatent que, sous son leadership, le Bénin a connu des avancées majeures, notamment :

Nous sommes également heureux de constater que le gouvernement œuvre à l’organisation et à la structuration du monde de la chefferie traditionnelle. À cet effet, un projet de loi est actuellement en cours de vote à l’Assemblée nationale. Celui-ci vise à mettre de l’ordre dans un domaine où de nombreuses personnes se sont autoproclamées rois, alors même que leur communauté ne reconnaît pas de système royal dans son histoire.
Toutefois, une loi de ce genre devrait avant tout être un outil de paix et de cohésion sociale, au service de la valorisation et de la promotion du patrimoine culturel.

La reconnaissance des royaumes historiques

Nous avons consulté plusieurs documents qui permettent d’avoir une idée claire des systèmes royaux au Bénin. Un collectif de scientifiques, historiens et archéologues de l’Université d’Abomey-Calavi a mené une étude approfondie sur l’historicité des espaces de pouvoir en République du Bénin.

Dans ce travail, il est précisé (notamment à la page 271) que le Bénin a connu 19 royaumes sur toute son étendue territoriale. Parmi ceux-ci, le royaume de Saxè, fondé par la communauté Xwéda, est clairement mentionné dans l’aire culturelle Adja-Tado.

Les recherches démontrent que dès les années 1500, le royaume Xwéda était structuré et administrait la côte de l’actuel Ouidah, ainsi que les populations de Ouidah, Guézin et une partie de Kpomassè. Il assurait cette gestion dans un cadre de paix et de prospérité.

Un pan de l’histoire qu’il ne faut pas effacer

Malheureusement, en 1727, le royaume de Saxè a été conquis par le roi Agadja de Danxomè, désireux d’accéder à la côte pour favoriser la traite négrière. Toutefois, la conquête d’un royaume ne devrait pas entraîner son effacement de la mémoire collective.

Des reliques de ce royaume ont été retrouvées sur son site d’origine et certaines font aujourd’hui partie du patrimoine muséal du Musée d’Histoire de Ouidah. Lors des fouilles archéologiques menées par le professeur Didier N’Dah en 1992, dans le cadre de l’événement Ouidah 92, plusieurs objets de collection issus du palais royal de Saxè ont été mis au jour et exposés.

Un impératif de revalorisation

En tant que gestionnaire du patrimoine culturel, je considère qu’il n’est pas acceptable que l’histoire d’un royaume soit ignorée sous prétexte qu’il a été conquis. Lorsqu’un État entreprend une réforme majeure visant à restaurer les systèmes royaux, il doit éviter d’exclure certains royaumes de la reconnaissance officielle.

Si cette loi ignore l’existence de Saxè, nous serons nous-mêmes acteurs de la suppression d’un pan essentiel du patrimoine béninois.

Au contraire, une telle loi devrait œuvrer à la restitution, la reconstitution et la revalorisation des royaumes disparus, afin qu’ils deviennent des pôles d’attraction et de développement pour le pays.

Un exemple inspirant : la Chine et ses cités perdues

À l’international, la Chine offre un exemple édifiant. Malgré les guerres et les bouleversements historiques, elle a su préserver et revaloriser ses anciens royaumes et cités perdues. Ceux-ci sont devenus des symboles culturels, des attractions touristiques et des sources d’inspiration pour l’industrie cinématographique.

Adopter une approche similaire permettrait au Bénin de tirer parti de son héritage culturel en réhabilitant Saxè comme un élément clé de son patrimoine et un levier de développement.

La reconnaissance du royaume de Saxè ne doit pas être perçue comme un simple enjeu historique, mais comme un acte de justice culturelle et patrimoniale.

Ainsi, nous appelons à une révision du projet de loi en cours, afin qu’il intègre l’ensemble des royaumes ayant existé dans l’histoire du Bénin, pour une revalorisation équitable et inclusive du patrimoine national.

Propos recueillis par Damien TOLOMISSI

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