Burkina-Faso: Le capitaine Ibrahim Traoré entre discours et défaites

Depuis son accession à la tête de l’État burkinabé, le 30 septembre 2022, après avoir annoncé la destitution du lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, le capitaine Ibrahim Traoré s’est singularisé de ses homologues de l’Alliance des États du Sahel (AES) par son exceptionnelle boulimie communicationnelle.
À l’inverse d’Abdourahmane Tiani dont les prises de parole publique sont rares ou d’un Assimi Goita dont les interventions en public sont rarissimes, l’homme fort de Ouagadougou ne manque pas une occasion de se faire entendre par un discours oral ou sur les réseaux sociaux.
Stratégie de séduction
Cette méthode de gouvernement d’Ibrahim Traoré n’est pas fortuite. Il doit la conquête et la consolidation de son pouvoir à une stratégie de communication savamment huilée.
En effet, lorsque les premières informations font état d’une mutinerie d’une partie de l’armée contre le lieutenant-colonel Damiba, l’incertitude demeure sur la relation conflictuelle entre les forces en présence. Mais, avec promptitude et habileté, les communicants d’Ibrahim Traoré ont investi les réseaux sociaux et ont remporté la bataille de l’opinion avant même de prendre définitivement le dessus sur les forces loyalistes.
Toujours dans la même stratégie de séduction et de conquête de l’opinion, le capitaine Traoré, le plus jeune chef d’État au monde, se distinguera de manière tonitruante au 2e sommet Afrique-Russie à Moscou, fin juillet 2023.
Pour ce baptême du feu à l’étranger et devant ses pairs africains, en pleine crise d’approvisionnement des pays africains en céréales à cause du conflit russo-ukrainien, Ibrahim Traoré ne passera pas par quatre chemins pour donner à ses pairs des leçons de souveraineté alimentaire pour un continent qui en a tous les atouts. Le chantre du néo-panafricanisme africain, voire le Sankara nouveau était arrivé.
Charmant paradoxe
Dans le même temps, sur le terrain sécuritaire, les attaques des terroristes djihadistes contre des villes et des villages ou contre les forces régulières n’ont pas cessé. Elles ont même gagné en intensité.
Or, l’une des raisons pour lesquelles le capitaine Traoré a justifié sa prise de pouvoir, voire la raison essentielle de son coup de force, fut de rétablir la sécurité et de restaurer l’intégrité territoriale du pays.
Comme dans l’ensemble des États du Sahel, notamment ceux de la nouvelle Alliance des États du Sahel (AES), l’insécurité ne cesse de gagner du terrain.
L’une des idées originales du capitaine Traoré fut de renforcer les effectifs de l’armée en procédant à des recrutements massifs de civils dans l’armée. Il s’agit des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP).
Si l’initiative fut favorablement accueillie au sein de la population, parce que conceptualisée sur le modèle armée-nation, ce choix stratégique montrera vite ses limites. Ces recrues militaires sans formation civique ni maîtrise des techniques de guerre ont subi de lourdes pertes dans leurs rangs une fois déployées sur les théâtres d’opérations.
Plus préoccupant, certaines se sont rendues coupables de graves violences sur les populations civiles qu’elles sont pourtant censées protéger. Si les autorités burkinabè ont choisi dans un premier temps la stratégie du déni pour ne pas affoler les populations civiles et démobiliser les troupes, les réseaux sociaux ont jusqu’à présent foisonné d’images qui donnent du crédit à un narratif inverse.
Musellement des voix critiques
Au lieu de questionner les politiques de défense et de sécurité du pays qui montrent chaque jour leurs limites, la junte militaire a choisi de museler toute voix susceptible de rétablir la vérité des faits. Alors que le doute gagne l’opinion et même l’armée, le capitaine Traoré a plutôt choisi de faire taire les médias indépendants, les leaders de la société civile ou les organisations non gouvernementales résolus à exercer librement leurs activités dans le cadre de leurs attributions statutaires et leurs droits constitutionnels.
En dépit de ces tentatives de créer une omerta sur la situation sécuritaire véritable du pays, les groupes terroristes continuent de rogner des parts de terrain. La facilité avec laquelle les terroristes djihadistes se sont emparés récemment des localités de Djbo et de Diapaga, où ils ont libéré tous les détenus de la maison d’arrêt, a tétanisé les Burkinabè qui ont découvert ces images humiliantes sur les réseaux sociaux. Cette déroute des forces armées régulières et la perte d’un important matériel militaire tombé aux mains des terroristes djihadistes ont renforcé l’impression d’une démobilisation au sein même de l’armée. Ce constat gagne d’autant plus en crédibilité que les localités tombées aux mains des forces djihadistes ont été mollement défendues lorsqu’elles n’ont pas été purement et simplement abandonnées suite à des défections.
Le Burkina Faso se trouve actuellement à la croisée des chemins. L’exercice solitaire et autocratique du pouvoir par le capitaine Traoré a généré au sein de la société et de l’armée régulière des fractures qui font peser de lourds dangers sur la capacité du pays à faire efficacement face à l’adversité extérieure qui monte par ailleurs en puissance. Il est encore temps pour le capitaine Traoré de consentir à un bilan critique et constructif du chemin parcouru depuis son accession à la magistrature suprême. La stabilité du pays et la pérennité de son pouvoir sont à ce prix.
Éric Topona Mocnga, journaliste à la rédaction Afrique-Francophone de la Deutsche Welle, à Bonn (Allemagne)