Après la mise sur le marché de « Kidal » qui est un recueil de six nouvelles, ميرتل أكوفا هاهو, écrivaine béninoise a décidé de partager avec les lecteurs un de ses textes. Il s’agit de « Ordre de Mission ». Voici la deuxième partie. اقرأ بدلاً من ذلك !!!
Et pourtant j’avais toujours l’impression d’être épiée et surveillée. Je sursautais à un pas derrière moi car je sentais un regard insistant dans mon dos. Hallucination, me disait ma sœur, quand je m’en ouvris à elle:
– Tu te dis qu’on te regarde, mais personne ne te regarde parce que tout le monde regarde tout le monde. Dans une marée humaine comme le campus, tu ne peux craindre d’être regardée, puisque finalement, personne ne regarde personne. Chacun se préoccupe de lui-même. Quand ça lui prend de jouer à la logicienne, c’est comme cela que ma sœur raisonne. Elle ne vous convainc pas, mais vous vainc, vous rassure et vous relance. Sètché, le jeune homme galant qui m’a secourue dans le bus, me raconta plus tard que, pendant les trois mois qui suivirent notre rencontre, il me suivait partout dès que nos heures de sortie étaient les mêmes, qu’il connaissait mon itinéraire et que c’était toujours le même et sans détour. Et pour donner de l’éloquence à son charme, il s’improvisa bibliste :
– Il est écrit : « Là où est ton cœur, là aussi sera ton trésor. » Et comme mon cœur est dans ta poitrine, je ne saurais jamais tourner dos à mon trésor que tu constitues désormais. Il ne me laissa pas détecter l’incohérence de sa citation biblique. Il faut dire qu’avant lui, je n’avais pas connu d’hommes de mon âge ni une relation du genre. Je n’avais jamais non plus été assaillie par tant de paroles qui m’étaient inconnues :
– Les yeux dans le taillis ne se fatiguent pas de suivre la trajectoire du gibier tant attendu. Et puis quand la rose éclot, quand une seule rose s’ouvre au soleil, c’est tout le ciel qui s’arrête pour la contempler. Le jardinier se fout de ses épines. Inhaler la fragrance de ses pétales, s’enivrer de sa splendeur, voilà désormais toute sa préoccupation. Chaque parole était ponctuée d’un sourire enjôleur. Les yeux mis clos et les narines en effervescence comme s’il respirait le parfum de « sa rose ». Il avait un côté romantique et poétique qui fit tout chavirer et lui donna l’avantage. Les mois défilèrent, laissant place aux années. Je ne pouvais lui reprocher ni frasque ni manquement, car il faisait chaque jour mon bonheur. J’étais le centre de sa vie, que dis-je? Je suis le centre de sa vie. Mon poète est là, je n’ai plus rien à craindre. Il dit que je joue toujours ma partition dans la valse du vivre ensemble, et que je mets aussi ma joie de vivre partout. Cela lui plaisait ; je ne m’en offusquais pas. Il savait apprivoiser mes épines, على الأقل, il s’y est habitué. Quel homme ! Il n’a d’yeux que pour me contempler, et d’oreilles que pour se délecter de la musique de mes paroles. C’est vrai que j’aime beaucoup lui parler, je parle plus que lui d’ailleurs, et il aime m’écouter des heures durant…Après mon diplôme en administration des territoires, j’ai voulu exercer. Avoir une vie professionnelle et m’épanouir en tant que femme active dans la cité, qui apporte sa pierre à l’édification des consciences, jouer mon rôle de citoyenne engagée au service de ma nation, tel était mon rêve depuis le ventre de ma mère. باكرا, j’avais pris conscience que la société a besoin des deux mains – celle masculine et celle féminine – pour s’épanouir. Deux mains mâles autour du pot social, c’est la Voie Royale des avalanches d’échecs et du cycle de l’éternel recommencement. Deux mains féminines, hum… Ce n’est pas la panacée non plus. J’ai toujours voulu travailler, montrer à moi-même et à mon père, qu’une femme est faite pour transformer la société en ce foyer dont elle mère. Si elle est mère du foyer, elle le sera davantage de la cité, étant entendu que cette dernière vient de ses entrailles. عظم, اليوم, quand j’y pense, je me dis qu’il a toujours fait exprès de me détourner de tout. La première fois, quand j’essayai de trouver un boulot, il m’en dissuada avec tact, arguant que j’avais tout le temps pour le faire. C’est vrai que nous vivions un bonheur absolu. Je ne manquais de rien et c’était nouveau pour moi une vie de couple où j’étais comme ma mère, une femme au foyer. Ma mère me signifiait qu’il fallait que j’aie un travail, que je me prenne en charge financièrement. Mais il y avait mon homme qui me couvrait de bijoux, de pagnes et d’autres prévenances que mon salaire, aussi colossal soit-il, ne pourrait jamais me procurer. Quand ma mère revint à la charge, insistant qu’il me fallait me secouer un peu et m’imposer en artisan de mon destin, je lui répondais vaguement que j’y pensais. Deux ans après une vie amoureuse bien remplie, je tombai enceinte d’Essé, mon garçon. Nouveaux épisodes de joie. Détermination et force. Miracle à vivre à deux. Sètché, mon mari, me comblait. Je finis par croire que j’étais un œuf. Son œuf. J’accouchai d’Essé et six mois après, il retourna dans l’éternité suite à une simple fièvre. Je ne pleurai pas… (A suivre…)