Depuis quelques années, des prises spectaculaires de cocaïne, une drogue de synthèse, sont devenues monnaie courante. Le dernier dossier en date porte sur la saisie de 2,5 tonnes à Sèmè-Podji. Douze personnes sont déjà sous les verrous, dont des expatriés dans cette affaire qui n’a pas fini de révéler ses dessous.
Mais, entre le Bénin et le trafic international de drogue, c’est une affaire de longue date. Ainsi, à la fin des années 90, un ambassadeur béninois en poste dans un pays occidental avait été rappelé puis incarcérer à Cotonou pour complicité dans une affaire de tentative d’exportation du produit prohibé.
En 2011, les Américains avaient révélé qu’un groupe libanais basé au Bénin se livrait, sous couvert de vente de voitures, à un trafic de drogue et d’armes au profit du groupe libanais Hezbollah. Ce groupe qui a décampé avant que les autorités mettent la main sur ses responsables aurait ainsi blanchi 483 millions de dollars entre 2007 et 2011. La drogue, cachée dans des voitures, était importée au Bénin où elle était revendue. Une partie des recettes ainsi faites était envoyée au Liban via le Togo et le Ghana où les agents du Hezbollah la réceptionnaient.
A chaque découverte de stupéfiants illégaux, les gouvernements qui se sont succédé ont eu la main dure pour décourager ce type de commerce mais visiblement, cela semble peine perdue car les prises se font de plus en plus nombreuses.
En réalité, le Bénin est happé dans une spirale de trafic de drogue contre lequel il est peu armé. En effet, au-delà de ses frontières, c’est l’ensemble des pays côtiers de l’Afrique de l’Ouest qui sont, malgré eux, impliqués dans ce commerce organisé par des groupes qui ont souvent plus de moyens financiers et logistiques que les Etats africains et qui sont basés en Amérique du Sud avec des ramifications en Europe et aux Etats-Unis. Généralement, la drogue, notamment la cocaïne, quitte l’Amérique du Sud, transite par l’Afrique de l’Ouest pour se retrouver en Europe ou aux Etats-Unis, sa destination finale.
La Colombie et bien d’autres pays de l’Amérique Latine avaient l’habitude d’exporter directement leur produit au nord de leur continent mais, depuis plus de deux décennies, ce chemin est quasi impraticable. Les contrôles sont devenus plus rigoureux, mais surtout, les narcotrafiquants sont désormais engagés dans une guerre sans merci entre eux d’une part et de l’autre avec la police mexicaine, ce qui les oblige à trouver une nouvelle route. Et l’Afrique de l’Ouest est l’étape idéale pour cela.
Dans un premier temps, les cartels de drogue latino-américains avaient ciblé les Etats faibles, en l’occurrence la Guinée Bissau, la Gambie et le Cap Vert, de petits Etats aux façades maritimes plus difficiles à contrôler mais surtout ayant peu de moyens et donc où il est facile de corrompre les fonctionnaires en charge des contrôles. Au début des années 2000, d’importantes quantités, estimées en tonnes, ont été saisies dans des aéroports et des ports portugais, espagnols et français. La drogue saisie provenait principalement de ces petits pays, mais aussi du Sénégal. La tendance ne semble pas à la baisse dans ces pays-là puisque, selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC), les récentes saisies de cocaïne en Afrique de l’Ouest, notamment au Cap-Vert, en Guinée Bissau, en Gambie et au Sénégal, atteignent 42 tonnes entre 2019 et 2021.
Le commerce de la drogue étant par nature clandestine, les prises actuelles ne sont en réalité que la partie visible de l’iceberg. Les intérêts en jeu sont si importants que les narcotrafiquants basés en Amérique du Sud ne vont pas se décourager à cause de quelques quantités saisies. Et ils trouveront toujours des répondants prêts à tout pour s’enrichir. Les Etats du Bénin et l’Afrique de l’Ouest sont donc engagés dans un bras-de-fer avec des puissances dont les budgets sont souvent supérieurs. Il est déjà louable que chaque saisie fasse l’objet d’arrestations et de procédures en bonne et due forme, en tout cas au Bénin. Mais aucun Etat ouest-africain ne peu à lui seul venir à bout des cartels tapis en Amérique du Sud. D’où la nécessité d’une coopération avec les Etats d’origine et ceux de destination de la drogue.
Pierre MATCHOUDO