A propos de « la ruse et la rage » : Encore une ruse de Djogbénou

 A propos de « la ruse et la rage » : Encore une ruse de Djogbénou

Dans une tardive repentance, Joseph Djogbénou rejette la ruse et la rage, mais les faits l’accablent toujours.

En avril 2017, alors que le régime en place essuyait un revers cinglant avec l’échec de la révision constitutionnelle à l’Assemblée nationale, Joseph Djogbénou, alors garde des sceaux et figure de proue du régime, avait lâché une déclaration devenue célèbre et symptomatique d’une gouvernance autoritaire à venir : « Dorénavant, nous allons gouverner par la ruse et la rage ». Une phrase lourde de sens, qui annonçait déjà le climat politique délétère que le Bénin allait connaître sous la présidence de Patrice Talon.

Mais voilà qu’en ce 10 avril 2025, au Champ d’Oiseau à Cotonou, Joseph Djogbénou a tenté de prendre ses distances avec ces propos qui le suivent comme une ombre encombrante. « Ce n’est ni mon éducation ni ma culture », a-t-il déclaré face à un public partagé entre étonnement et scepticisme. Pourtant, difficile de croire à cette soudaine prise de conscience tant les actes posés depuis cette déclaration viennent confirmer la mise en œuvre méthodique de cette fameuse politique de la « ruse et de la rage ».

Deux remarques s’imposent en effet. Premièrement, malgré ses dénégations, c’est bel et bien cette doctrine qui a structuré la gouvernance de Talon et de ses proches collaborateurs, Djogbénou en tête. Par ruse, l’opposition politique a été progressivement écartée du jeu institutionnel.

L’exemple le plus patent reste l’exclusion des partis de l’opposition des législatives de 2019, qui ont abouti à un parlement monocolore, à la solde du régime. Un scénario orchestré habilement à travers des réformes du système partisan et un code électoral taillé sur mesure pour éliminer toute voix discordante.

Deuxièmement, c’est également par rage que le pouvoir a neutralisé les deux principaux challengers de Patrice Talon lors de la présidentielle de 2021. Reckya Madougou et Joël Aïvo ont été arrêtés, poursuivis puis condamnés à des peines lourdes de 20 et 10 ans de prison respectivement, sous des chefs d’accusation contestés aussi bien par leurs avocats que par la communauté internationale. La rage d’un pouvoir déterminé à conserver coûte que coûte le monopole du pouvoir, quitte à piétiner les libertés individuelles et à museler toute opposition.

Aujourd’hui, à l’approche de la fin du régime, Djogbénou semble vouloir se refaire une virginité politique. Sa récente déclaration n’est rien d’autre qu’une nouvelle ruse, destinée à se repositionner dans le paysage politique national et à se distancer d’un passé récent dont il est pourtant l’un des architectes. Mais l’opinion publique, elle, n’est pas dupe.

D’ailleurs, il importe de rappeler le contexte dans lequel cette fameuse phrase de « gouverner par la ruse et la rage » a été brandie. C’était suite à l’échec de la révision constitutionnelle de 2017, un projet que le gouvernement avait présenté comme indispensable mais qui n’avait pas obtenu la majorité requise au parlement. Sur ce point, Djogbénou lui-même avait expliqué que « trois voix ont empêché l’adoption du projet », estimant qu’elles avaient ainsi condamné le projet « par la ruse et la rage ».

Or, cette posture est intellectuellement et politiquement contestable. Tout politicien chevronné et juriste averti sait que tout vote est, par essence, soumis à deux issues possibles : l’adoption ou le rejet. Imaginer qu’un projet de révision constitutionnelle ne puisse qu’être adopté relève d’une conception biaisée du processus démocratique. D’autant plus qu’au crépuscule du régime Yayi, l’opposition qu’incarnait alors Djogbénou avait elle-même empêché l’élection du candidat du pouvoir au perchoir de l’Assemblée nationale à une voix près. Curieusement, à cette époque, il n’avait été question ni de ruse ni de rage.

Pourquoi donc, aujourd’hui, considère-t-il qu’un revers subi par Patrice Talon ne pourrait s’expliquer que par des manœuvres indignes et non par le simple jeu démocratique ? La réponse est claire : c’est encore une ruse. Et le peuple béninois saura s’en souvenir.

La réforme sur le système partisan et le Code électoral

Pour l’ancien président de la Cour constitutionnelle, les réformes en cours, notamment celles touchant au système partisan et au Code électoral, sont indispensables à la cohésion nationale. « La réforme sur le système partisan et toutes les réformes suivies, notamment en ce qui concerne le Code électoral, c’est le chemin qui nous conduit à l’unité nationale », a-t-il affirmé. Selon lui, ces ajustements visent à recentrer la politique sur « l’intérêt de chaque membre de notre société, où qu’il se trouve ». 

Les 20% : une exigence de représentativité

Le Professeur Djogbénou est également revenu sur la polémique des 20%, critère désormais requis pour les candidats aux législatives. Pour lui, cette mesure incite les partis à élargir leur base au-delà des clivages ethniques ou religieux. « Nous devons justifier que nous intéressons au minimum 20% de la population dans chacune de nos circonscriptions pour prétendre représenter la Nation », a-t-il expliqué.  Il y voit une avancée contre le clientélisme : « C’est une exigence de bonne gouvernance, une prévention de la mauvaise gouvernance. Nos enfants exigeront demain que les politiques s’adressent à toutes les communes, à tous les villages ». A l’en croire, ces réformes permettront aux partis de « sortir de la grégarité » et de cultiver une « solidarité politique » plus large. « Il s’agit de devenir plus humains, plus responsables, et de s’intéresser à tout le monde », a-t-il insisté. En conclusion, il appelle à poursuivre les ajustements pour renforcer « l’unité, l’efficacité et la compétence » des futurs dirigeants. Un plaidoyer qui résonne comme un soutien aux réformes en cours, malgré les critiques. 

Damien TOLOMISSI

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